Aucun expert en matière de sécurité en Afrique ne doute plus, à présent, des avertissements lancés, en mars 2011, par le gouvernement algérien sur la prolifération des armes libyennes dans la région du Sahel. L´Algérie avait été le premier pays, au printemps dernier, à se préoccuper de la présence de groupes salafistes dans les rangs de la rébellion anti-Kadhafi à Benghazi. La coalition militaire internationale engagée dans la guerre de Libye pour, officiellement, «sauver des vies humaines de la tyrannie du colonel Kadhafi» n´avait pas accordé le minimum de crédit aux appels pressants d´Alger à ce propos. Les avertissements d´Alger Mieux, les pays membres de la coalition occidentale, pilotée par la France, s´employaient alors, assez subtilement certes, à relayer la propagande lancée par l´opposition armée libyenne accusant l´Algérie d´assurer le «transport de mercenaires africains» pour combattre aux côtés du régime libyen, et de livrer des armes à Kadhafi. Le chef de la diplomatie Alain Juppé avait estimé utile de s´informer auprès d´Alger de ce qui, selon son expression, se disait dans «certains cercles intellectuels à Paris», animés par le philosophe Bernard Henri Levy, ami et conseiller de Nicolas Sarkozy, pour le «Printemps arabe». Alex Vines, le directeur du programme sur l´Afrique du centre d´études Chatham House et le spécialiste du nord de l´Afrique de l´Ouest de Navanti Group, Andrew Lebovich, affirment avec certitude que les informations parvenues, en temps réel, depuis l´Algérie, sur la prolifération des armes au Sahel sont «crédibles». En 2011, les autorités algériennes avaient annoncé l´arrestation de 214 trafiquants d´armes dont 87 d´origine libyenne. Une information reléguée au second plan par les médias des pays de la coalition qui ont vu dans cette information une forme de propagande des services secrets algériens. Aujourd´hui, les experts travaillent sur ces pistes, surtout depuis que s´est vérifiée une autre information d´une importance capitale relative à la découverte d´un lot de missiles enfoui sous terre par ces mêmes groupes agissant pour le compte d´Aqmi et la rébellion armée au Mali, en territoire algérien près de Debdeb. L´argent des rançons Le trafic d´armes depuis la Libye a eu des conséquences directes sur la recrudescence des activités de terrorisme, les prises d´otages et le retour à la lutte armée du mouvement des Azawate dans le nord du Mali. Ce trafic est surtout le fait des partisans du régime de Kadhafi de retour dans leur pays et qui croient au projet de l´ex-leader libyen d´un Etat targui indépendant chevauchant sur plusieurs pays du Sahel. La motivation nationaliste des Azawate s´est renforcée avec l´arrivée des armes libyennes. C´est, cependant, aux mains d´Aqmi que va passer l´essentiel de l´arsenal de guerre libyen. Pour le moment, ni les nouvelles autorités libyennes, plus confrontées à l´instabilité et à la menace de la partition de leur pays, et pas même les Etats-Unis, directement engagés dans la guerre contre le terrorisme au sud du Sahara, ne sont en mesure de dire combien d´unités sur un lot de 20 000 missiles de l´armée de Kadhafi portatifs ont été retrouvées. Le chef du Bureau de l´ONU pour l´immigration à Nouakchott est formel : Aqmi s´entraîne au maniement des lance-missiles portatifs. Ni le Niger ni le Mali ne possèdent ces armes anti-aériennes de type SA-24 et SA-7 (man-portable air-défense system) pesant entre 10 et 15 kg et très adaptés à la nature du terrain au Sahel pour être facilement maniables. Au lancement, les têtes de ces missiles sont guidées par la chaleur des moteurs des hélicoptères et des engins, ce qui fait craindre le risque de leur utilisation contre les avions de ligne qui sont non équipés par un système de défense adapté. Aqmi n´est pas regardante sur les prix Le territoire libyen est devenu l´un des plus juteux marchés d´armes dans le monde, après celui des pays de l´est de l´Europe, après la chute du «mur de Berlin». Le prix d´un missile varie entre 5000 et 50 000 dollars selon les modèles disponibles. Pour les rebelles touareg, ces prix sont trop élevés. En revanche, Aqmi ne se pose pas de problème d´argent. L´organisation terroriste dispose d´un fonds de plusieurs dizaines de millions d´euros qu´elle a pu renflouer par l´argent des rançons contre la libération des ressortissants européens pris en otages au Sahel. Les gouvernements espagnol, français, autrichien, allemand et italien ont dû payer, depuis 2002, par intermédiaires interposés, généralement les entreprises d´origines, des rançons variant entre 5 et 6 millions par tête d´otage. Les groupes terroristes, qui détiennent aujourd´hui cinq Français, une Italienne et deux Espagnols, dans le nord du Mali, ont fait monter les enchères indexant le montant des rançons sur le cours des prix des armes de guerre sur le marché libyen. Depuis dix ans, les groupes terroristes d´Abdelhamid Abou Zeid et de Mokhtar Benmokhtar, feront des prises d´otages leur principale activité pour le financement du trafic d´armes à destination de l´Algérie. Le laxisme de Tripoli D´autres groupes rebelles ont pris exemple sur Aqmi dans ce domaine. L´organisation djihadiste pour l´Ouest de l´Afrique qui a enlevé le 23 octobre 2011 deux ressortissants espagnols et une Italienne dans les camps de réfugiés de Tindouf, un groupe dissident d´Aqmi, demande 10 millions d´euros par otage. Moins connus, la secte islamiste Boko Haram opérant au Nigeria, et les groupes rebelles au Tchad, soutenus par Kadhafi, ont eux aussi tendance à se spécialiser dans le trafic d´armes depuis la Libye. C´est à travers le Tchad, où les services de renseignement français sont omniprésents, que transitera le premier lot de Sam 8 russe de l´armée libyenne vers le Mali. S´agissant du renforcement du contrôle du commerce des armes sur leur territoire, les nouvelles autorités libyennes sont suspectes d´un flagrant laxisme. L´Algérie finira par forcer le gouvernement de Tripoli à se préoccuper de la sécurisation de la frontière commune, mais le trafic d´armes a déjà pris de l´avance pendant que se prolongeait la guerre contre le régime de Kadhafi. Tous les Etats du Sahel menacés Les analystes n´écartent plus la possibilité d´un coup de force dans d´autres pays du sud du Sahara, en raison de la prolifération du trafic d´armes depuis la Libye, pays qui a de très longues frontières avec six pays. La première raison qui a poussé au coup de force au Mali, le capitaine Amadou Haya Sanogo l´attribue au peu d´attention accordé par le président déchu Amadou Toumani Toure à la lutte contre la rébellion des Touareg dans le nord du pays. Or, quel gouvernement du Sahel est-il en mesure de tenir face à la prolifération du trafic d´armes libyennes à grande échelle, précisément dans une région où la pauvreté, les conflits ethniques, religieux et politiques font bon ménage avec le terrorisme.