L'Egypte a connu une nouvelle flambée de violence après l'annonce officielle des résultats de l'élection présidentielle, qui a qualifié le Frère musulman Mohamed Morsi et l'ex-général Ahmed Chafik pour un second tour très incertain. Lundi soir au Caire, des manifestants ont tenté d'incendier le QG de campagne de Chafik, dernier Premier ministre de Hosni Moubarak, un cacique du régime déchu considéré par beaucoup comme le candidat de l'armée. Aucun des deux hommes arrivés en tête au soir du premier tour dans le pays le plus peuplé du monde arabe n'a franchi les 25% des suffrages. De nombreux électeurs ont préféré éparpiller leurs voix sur des candidats plus "centristes" plutôt que de choisir entre un "barbu" et un "feloul" (expression péjorative désignant un vestige de l'ancien régime). Certains parmi la foule descendue lundi soir par milliers dans les rues de la capitale arboraient des posters du Frère musulman Morsi au visage barré. La plupart néanmoins scandaient des slogans dirigés contre Chafik, un militaire de carrière qui a commandé l'armée de l'air sous Moubarak, pour lequel il n'a jamais caché une admiration filiale. "Non à Chafik, non au feloul!", ont tagué des manifestants armés de cocktails Molotov sur les murs de la villa abritant le siège de campagne de l'ancien général. Les locaux ont échappé aux flammes. "Nous condamnons cette agression dont nous ignorons l'identité des instigateurs", a réagi un responsable de la campagne de Chafik. Les Frères musulmans, qui contrôlent la nouvelle Assemblée constituante élue en octobre, ont, quant à eux, démenti toute implication dans cette attaque qui a été condamnée par d'autres candidats éliminés au premier tour. Une partie des protestataires s'est retrouvée ensuite sur la place Tahrir, le rendez-vous mythique des révolutionnaires qui renversèrent le "raïs" le 11 février 2011. Cette flambée de violence ne peut que compliquer un peu plus le processus, déjà très chaotique, de transition dans le pays-phare du monde arabe, qui fut le deuxième à prendre en marche "le printemps des peuples arabes" initié par la petite Tunisie. Les généraux égyptiens, qui assurent l'intérim du "raïs" déchu et sont accusés par certains de chercher à tirer les ficelles en coulisses, ont promis de remettre le pouvoir à des civils élus le 1er juillet au plus tard. Avant même le premier tour, organisé les 23 et 24 mai, les jeunes à l'avant-garde de la "révolution du Nil" avaient juré de redescendre dans la rue au cas où Chafik serait en course pour devenir le prochain président. Paradoxalement, les violences pourraient se révéler être le meilleur atout dans la manche du général, qui a promis haut et fort de rétablir rapidement l'ordre en Egypte. Nombreux sont les habitants de ce pays qui, tout en se réjouissant de la chute du régime Moubarak, aspirent aujourd'hui à une stabilité politique propre à relancer une économie mise à genoux après un an et demi de soubresauts politiques. Morsi et Chafik cherchent aujourd'hui à élargir leur base électorale dans la perspective du second tour, prévu les 16 et 17 juin. Les jeunes révolutionnaires redoutent que voter pour l'un ou l'autre des candidats au second tour ne revienne à trahir leurs idéaux et à confisquer "la révolution du Nil". Quant aux libéraux, ils éprouvent aux-aussi un profond embarras devant le choix binaire qui s'offre à eux. "On s'attendait à des manifestations de protestation", déclare Farid Ismaïl, l'un des dirigeants du Parti de la liberté et la justice (PJL, vitrine politique des Frères musulmans). "Le résultat du scrutin ne pourra pas satisfaire tout le monde." "(...) La situation en Egypte aborde une phase critique et grosse de dangers. Il faut travailler ensemble pour préserver les acquis de la révolution", confie-t-il à Reuters.