Est-ce qu'il y a des consommateurs en Algérie ? Non, il y a des acheteurs, a répondu quelqu'un qui a la réputation d'être expéditif dans ses appréciations. Il y a des consommateurs qui consomment et des commerçants qui s'en foutent parce que, de toute façon, ils vont consommer, pense un fataliste imperturbable. Il y a des acheteurs qui achètent parce qu'ils ont de l'argent pour le faire, d'autres acheteurs qui achètent parce qu'ils réussissent toujours à trouver l'argent qu'ils ne sont pas censés avoir et d'autres encore qui achètent ce qu'ils peuvent bien acheter parce qu'ils pensent qu'ils ne peuvent pas tout se permettre. Les acheteurs sont différents mais ils se retrouvent tous devant les mêmes étals et les mêmes magasins pour «affronter» les mêmes marchands. Il n'y a que les vendeurs qui se ressemblent. Ils ne vendent pas tous la même chose mais ils ont les mêmes acheteurs qui ne sont évidemment pas des clients. Les vendeurs n'ont peut-être pas besoin de s'organiser parce que de toute façon, ils peuvent tout vendre mais ils se ressemblent tellement qu'ils ont créé une «union des commerçants», des fois que quelqu'un aura l'idée saugrenue de leur dire qu'ils ne peuvent pas tout se permettre. Et les acheteurs, qui ont toutes les raisons de s'organiser, ne l'ont jamais fait parce qu'ils sont trop différents. Il y a ceux qui pensent que le lait et la baguette sont trop chers au prix où ils sont et demandent plus de subvention. Il y a ceux qui ne se plaignent pas du coût du lait et du pain mais veulent bien que la viande et le poisson soient soutenus par l'Etat parce qu'ils ne peuvent plus en acheter et que ce n'est pas juste de ne plus en manger après une longue habitude de consommation. Il y a enfin ceux qui sont étonnés d'acheter le lait et le pain au même prix que leur femme de ménage et leur chauffeur mais ne s'en plaignent tout de même pas. Ils ne revendiquent pas de subvention pour le caviar et le foie gras parce qu'il n'y en a pas chez les vendeurs d'ici mais de toute façon, même s'il y en avait, ils préfèrent l'acheter là-bas. Habitude de consommation toujours. Ils vont acheter les œufs d'esturgeon là-bas et au retour, ils organisent la pénurie de la pomme de terre ici. Astucieux, non ? Puis, à la fin de l'année, à l'arrivée du Mouloud ou de l'Achoura, ils se gavent de foie d'oie gavée en regardant flamber le prix du poulet ou en fulminant sur les bouchons sur l'autoroute, occasionnés par la ruée sur la dinde de Megtâa Kheira. Au fait, Ramadhan, c'est dans quelques jours. Il faut encore manger de la viande et pour manger de la viande, il faut en acheter, c'est connu. Il est aussi connu que ceux qui mangent du caviar, mangent aussi de l'agneau. Ils ont des problèmes de cholestérol mais ce n'est pas grave, ils ne le savent pas. Et puis, on ne pense pas au cholestérol pendant le Ramadhan, il faut seulement penser à manger le soir et, pourquoi pas, traquer ceux qui songent à manger le jour. Il paraît même que ceux qui ne se ressemblent pas, à moins que ce ne soit seulement ceux qui se ressemblent un peu, ont décidé de s'organiser. Vous vous rendez compte ? Ils vont boycotter la viande en plein Ramadhan ! Cela ne va pas être très difficile de ne pas manger de la viande pendant un mois quand on n'en mange pas pendant toute l'année, mais, par expérience, on sait que c'est difficile. C'est plus facile à l'Union des vendeurs d'organiser la grève des boulangers pour baisser le prix de la farine ou de la TVA que pour ceux qui ne mangent pas de viande de ne pas acheter de viande. Surtout quand on a la démesurée ambition d'en baisser les prix. De toute façon, les vendeurs de viande ne comptent pas trop sur ceux qui n'en mangent pas pour écouler leur marchandise et il n'est pas sûr que ceux qui doivent boycotter boycottent. Un air de déjà entendu. Il n'y a aucune raison pour qu'un Ramadhan soit différent d'un autre Ramadhan, puisqu'il faut toujours manger le soir. De la viande, des pommes de terre, du poulet, de la dinde de Megtâa Kheira et plus rarement du caviar. Slimane Laouari