En cette période qui précède la fête de l'Aïd El Adha, la vente de moutons se fait dans des espaces improvisés sur des parkings, les trottoirs, des maisons abandonnées, chaque coin isolé servant d'étable au vu et au su des autorités alors qu'une réglementation promulguée il y a quelques années interdit la vente de bétail de façon anarchique. C'est dans ce cadre que nous nous sommes intéressés à ce que peut entraîner la présence des moutons dans les quartiers d'Alger. Ainsi, dans le quartier Saâda de Hussein Dey, il a été observé que des moutons étaient attachés à des poteaux électriques, des barrières, voire des escaliers, gênant le passage de piétons dont des enfants qui craignaient de passer devant les béliers réputés pour leur impulsivité. Ces animaux sont souvent laissés à l'abandon sans eau ni nourriture en pleine chaleur. Certains, pour vendre leur bétail aux plus offrants, arpentent les rues fièrement, interpellent les acheteurs potentiels en scandant le prix de leur bétail. Pour d'autres, comme Hamou, du quartier Jolie Vue à Kouba, la vente se fait plus aisément car il a pu aménager une sorte d' étable faite d'un enclos et de caisses en bois sur un parking prêté gracieusement par l'Etat qui n'a jamais été opposé à son activité commerciale. «Chaque année, je vends mes moutons sur ce parking. Je n'ai jamais eu d'obstacle ni d'avertissement des autorités car après l'Aïd, je nettoie correctement tout l'espace que j'ai aménagé», nous dit-il, ajoutant que dans ce quartier populaire, les autorités évitent toute confrontation avec la population. Il a été observé que sur ce lieu, ce sont surtout les déchets humains qui travestissent le paysage. Des emballages de nourriture, des sacs poubelle inondent les enclos des moutons. Pas plus d'excréments d'animaux qu'à l'ordinaire, mais une forte odeur due au foin, à ces excréments et aux déchets alentours. Les prix sont adaptés selon les quartiers «Je nettoie chaque jour l'enclos de mes moutons, je ne veux pas que mes clients soient dérangés par les excréments de mes bêtes. J'aurais l'air de quoi si un client ressort de l'enclos les chaussures souillées ? Je tiens à ma réputation», nous indique-t-il, ajoutant que le prix de ses moutons varie entre un million et vingt-cinq mille dinars. « J'ai un large panel de prix car ici nous sommes dans un quartier populaire. Si je veux que mes moutons soient vendus, je dois adapter mes prix au pouvoir d'achat de ma clientèle sinon je n'ai plus qu'à déménager mais ici, j'ai un espace, je suis connu et apprécié pour la qualité de mes bêtes» nous a-t-il dit. Une visite improbable chez le vétérinaire Quand on l'interroge sur le passage de son bétail chez un vétérinaire, Hamou se fait plus imprécis et argumente de façon peu convaincante. Au début, il nous a indiqué que c'est le propriétaire des animaux qui détenait les documents du passage chez le vétérinaire puis seconde version que le client de chaque bête conserve le document qui atteste de la visite chez le vétérinaire. Nous ne saurons pas où se situe la vérité mais Hamou semble apprécié dans le quartier. Ce qui frappe dans le quartier de Jolie Vue, c'est le marché informel qui s'est organisé autour du commerce des moutons. De nombreux jeunes ont trouvé un nouveau filon et vendent à même le sol ou sur des tables des bottes de foin dont le prix varie entre 80 et 200 dinars. Les bottes de foin mal rangées gênent le passage des piétons et salissent les trottoirs. Au quartier Hocine Hai El Badr, l'espace réservé aux piétons se réduit et est entravé par ce commerce depuis plusieurs jours, mais cela ne semble pas perturber les agents du poste de police de proximité ainsi que les riverains. «Nous avons l'habitude de voir des enclos sauvages chaque année. Cela fait désormais partie de notre folklore. Pour le moment, nous n'avons pas été dérangés par des déchets particuliers. C'est le jour de l'Aïd que nos rues sont sales ; certains égorgent leurs bêtes à même le trottoir. Mais regardez autour de vous, ce ne sont pas les animaux qui méritent un reportage mais les décharges à ciel ouvert, l'incivisme de certains qui a favorisé la multiplication de tas d' immondices un peu partout dans le quartier, la venue des rats et autres rongeurs», déplore un habitant. Un constat que nous ne pouvons qu'approuver car le commerce de moutons se déroule seulement pendant la période de l'Aïd El Adha, alors que les déchets ménagers sont constatés à longueur d'année, exception faite des bergers, qui, faute de vivre à la campagne, baladent leurs bétails dans nos villes.