Figure du mouvement islamiste tunisien, le Premier ministre Hamadi Jebali a défié son propre camp pour éviter le "chaos" au pays, quitte à faire imploser son parti Ennahda pour lequel il a connu les geôles du président déchu Zine Al Abidine Ben Ali. L'assassinat retentissant le 6 février de l'opposant laïc Chokri Belaïd a poussé M. Jebali, numéro 2 d'Ennahda, à aller au choc avec les radicaux de son parti rangés derrière l'influent Rached Ghannouchi. Si cet islamiste pragmatique de 63 ans a surpris la classe politique en initiant la formation d'un gouvernement de technocrates, contre l'avis d'Ennahda, ses relations avec les conservateurs du parti sont tendues depuis longtemps. "M. Jebali a acquis le sens des réalités au contact du pouvoir, il a dépassé ses angoisses et commencé à agir en homme d'Etat en accord avec les modérés de son camp", analyse un observateur européen. Petite barbe blanche, lunettes à fine monture et "tabaâ" (la marque de prosternation des musulmans pieux) sur le front, Hamadi Jebali, fait partie des figures historiques de l'islamisme tunisien. Face à ceux d'Ennahda qui le critiquent, il se pose en garant de l'intérêt national qui veut éviter à la Tunisie de "basculer dans le chaos et l'irrationnel". "Quelle alternative? La loi de la jungle?" a-t-il lancé cette semaine. Né en 1949 à Sousse, la "perle du Sahel" sur la côte orientale, cet ingénieur en énergies renouvelables formé en France est l'un des cofondateurs du MTI (Mouvement de la tendance islamique) en 1981, qui deviendra Ennahda (Renaissance, en arabe) en 1989. Condamné à mort en 1987, juste avant la destitution du premier président tunisien Habib Bourguiba, il fuit en Espagne. En 1989, il bénéficie d'une amnistie générale et regagne Tunis pour fonder le journal du parti, El Fajr. En décembre 1989, M. Jebali est condamné à douze mois de prison pour un article critiquant la justice militaire. En 1991, alors que la répression anti-islamiste bat son plein sous le régime Ben Ali, il est condamné à 17 ans de prison dont 10 ans à l'isolement. En 2006, il est gracié mais assigné à résidence à Sousse. Détendu et souriant, très bonne plume et francophone, ce père de trois filles, est "un homme qui a toujours eu très bonne presse, il a une vaste panoplie de relations, un bon carnet d'adresse", note Sofiene Ben Farhat, analyste et écrivain. Il reste la vitrine d'un islam politique rassurant malgré des faux pas depuis la victoire de son parti aux premières élections libres d'octobre 2011. Ainsi, sa référence au "califat", un système politique basé sur la charia (loi islamique) avait choqué et renforcé l'inquiétude des laïcs qui dénoncent le "double langage" des islamistes. Toutefois, M. Jebali se positionne dans le courant réformiste d'Ennahda, un parti menacé d'implosion. Il bénéficie aussi d'appuis à l'étranger, dans le Golfe, à Washington et en Europe, où il s'est employé à mobiliser des appuis politiques et des fonds pour une Tunisie éprouvée par les conflits sociaux et à l'économie en berne. "Il est bien connu des Américains", confirme une source diplomatique, confiant avoir été "fortement impressionné" par M. Jebali. "Il est très sûr de lui, a un discours très construit. Mais ce n'est pas un tendre, ses années de prison lui ont forgé le caractère". En insistant sur un cabinet apolitique, il remporte aussi l'appui d'une bonne partie de la classe politique laïque et des syndicats, d'autant qu'il a rassuré en proclamant qu'il ne sera pas candidat aux prochaines élections.