Dix ans après l'invasion, l'Irak de 2013 est plongé dans une grave crise politique doublée d'un lancinant conflit religieux, et ne ressemble en rien à la démocratie parlementaire apaisée que les Etats-Unis souhaitaient édifier. La feuille de route édictée par le président américain d'alors, George W. Bush, tenait en peu de choses. Les troupes américaines lancées dans le désert irakien le 20 mars 2003, épaulées par une coalition de plusieurs dizaines de pays, avaient reçu pour ordre de mettre la main sur de prétendues armes de destruction massive en possession du régime de Saddam Hussein. Ce casus belli a fait long feu: aucun arsenal de ce type n'a jamais été retrouvé. Et très vite, les Etats-Unis travaillent à faire en sorte que l'Irak rejoigne le giron des alliés de l'Occident. Mais, à en croire des diplomates occidentaux, la chute de Saddam Hussein a surtout permis à l'Iran de s'attribuer une influence inespérée dans la conduite des affaires de son voisin. Pis, depuis le départ des derniers soldats américains d'Irak en décembre 2011, Washington peine à faire entendre sa voix à Bagdad. En 2003, l'administration Bush avait mis en avant "des arguments de façade comme les armes de destruction massive, les liens (de l'Irak) avec Al-Qaïda, les risques qu'il présentait pour la sécurité des Etats-Unis", résume Crispin Hawes, directeur du service Moyen-Orient au sein d'Eurasia Group. "Aujourd'hui, tout cela semble grotesque", assène-t-il. Et puis il y a un autre argument "sous-jacent: l'idée que l'Irak pouvait devenir un allié des Etats-Unis, que la reprise de l'économie pouvait se transformer en catalyseur de croissance en Irak et dans la région, en faisant un exemple à suivre", poursuit-il. Arrière-goût amer "Tout cela a un arrière-goût bien amer aujourd'hui", conclut-il.En soi, la guerre n'a pas duré très longtemps. Les bombardements ont commencé le 19 mars 2003, à la veille de l'invasion. Bagdad tombait le 9 avril et le 1er mai M. Bush déclarait la "Mission accomplie". Mais l'après-guerre s'est avéré bien plus sanglant que la guerre en tant que telle. L'attentat contre un mausolée chiite de Samarra au nord de Bagdad, le 22 février 2006, a donné le coup d'envoi d'un conflit confessionnel d'une violence inouïe. De 2006 à 2008, les bastions sunnites d'Al-Anbar et de Mossoul, les villes saintes chiites de Najaf et Kerbala, mais aussi Bagdad, ont été le théâtre de combats de rue, d'attentats et d'assassinats mettant aux prises insurgés chiites et sunnites, d'un côté, et les forces de la coalition, de l'autre. Les hostilités se sont soldées par la mort de 4.800 soldats étrangers, dont une écrasante majorité d'Américains. Si les troupes étrangères sont rentrées chez elles et la violence a largement baissé en intensité, les attentats continuent de tuer en Irak. Depuis l'invasion de 2003, au moins 110.000 civils irakiens ont péri dans les violences. La réconciliation nationale et une improbable consolidation des institutions qui devaient aller de pair avec la baisse des violences ne sont toujours que des vœux pieux. Bagdad ne supporte pas de voir la région autonome du Kurdistan (nord) se passer de son accord pour signer des contrats avec des compagnies pétrolières étrangères. Les deux se disputent en outre une bande de territoire comprenant Kirkouk où est concentrée une partie des réserves des hydrocarbures du pays. Mais pour l'heure, c'est surtout le formidable retour des clivages religieux que l'Irak doit gérer, reportant du même coup sine die la mise en œuvre de politiques à même de résoudre d'aussi brûlantes questions que celles des infrastructures, de la corruption, du chômage et de l'insécurité. Depuis fin décembre, la minorité sunnite bat le pavé pour réclamer la fin de la marginalisation dont elle estime être victime de la part du gouvernement du chiite Nouri al-Maliki. Les manifestations sont entrées dans leur troisième mois et les protestataires réclament désormais la démission de M. Maliki.