La brusque flambée de manifestations antigouvernementales en Turquie a pris par surprise les pays européens, qui appellent Ankara à la "retenue" et au "dialogue" en attendant de voir si ce pays sera à son tour saisi par la fièvre qui déstabilise le Moyen-Orient. Quatre jours après le début des troubles, la prudence prévalait lundi à Bruxelles comme dans la plupart des capitales européennes, témoignant de l'embarras à appréhender la situation. Le chef de la diplomatie de l'UE, Catherine Ashton, a exprimé dimanche sa "vive inquiétude au sujet de la violence qui a éclaté à Istanbul et dans d'autres villes de Turquie", et a "regretté l'usage disproportionné de la force par la police turque". Elle a appelé à un "dialogue ouvert pour trouver une solution pacifique". L'Allemagne, qui suit "avec inquiétude" la situation, a également prôné lundi le "dialogue" et "l'apaisement". A Paris, Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, a appelé dimanche les autorités à faire preuve de "retenue" face aux manifestants et à analyser "les causes" de la contestation. Mais il a réfuté l'idée d'un "printemps turc", par analogie avec les printemps arabes. "Je rappelle qu'on a affaire à un gouvernement qui a été démocratiquement élu", a déclaré le chef de la diplomatie française. Sur la même ligne, le Premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt a rappelé que le parti au pouvoir, l'AKP (Parti de la justice et du développement), avait "obtenu un soutien incroyable des électeurs" et que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait "été reconduit à plusieurs reprises". Il l'a toutefois appelé à "répondre favorablement" aux "pressions pour davantage d'ouverture, davantage de liberté de la presse et des réformes dans le sens d'une libéralisation". Au-delà de ces réactions modérées, "nous attendons de voir l'évolution de la situation au cours des prochains jours. Est-ce un feu de paille ou le début d'une véritable contestation?", s'interroge un diplomate à Bruxelles. "Mais il est à ce stade très hasardeux d'établir des liens avec le Printemps arabe", selon lui. Sinan Ulgen, un expert turc invité par l'institut Carnegie Europe, estime que "les comparaisons avec les manifestations de la place Tahrir (au Caire) ne sont pas pertinentes" car "il n'y a pas d'appel à un changement de régime comme cela avait été le cas en Egypte". La prudence des Européens est également liée aux craintes qu'une poursuite des troubles ne rende encore plus compliquée la recherche d'une solution pour mettre fin à la guerre civile en Syrie, pays voisin de la Turquie. Négociations UE-Turquie au point mort Dans l'immédiat, les événements des derniers jours ne devraient pas avoir d'influence sur les négociations en cours entre l'Union européenne et la Turquie sur une éventuelle adhésion au bloc européen. "Cela n'a pas d'effet sur les discussions (...) Je ne vois pas de lien direct", a estimé le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Seibert. De fait, les négociations engagées en 2005 piétinent depuis des mois, en raison de l'hostilité de pays européens, comme la France et l'Allemagne, à une pleine adhésion turque, mais aussi de blocages d'Ankara. Le 27 mai, l'UE avait indiqué "constater avec beaucoup de regrets que, malgré ses demandes répétées, la Turquie refusait toujours de remplir ses obligations". Présent ce jour-là à Bruxelles, le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, avait réclamé à l'UE de "débloquer le processus", car "à ce rythme, il faudra 50 ans pour l'achever". "Sans la Turquie, l'UE ne sera pas complète, elle n'aura pas de continuité stratégique et géographique", avait-il soutenu. Daniel Cohn-Bendit, vice-président des Verts au Parlement européen, a appelé lundi l'UE à "accorder plus d'attention aux événements" après "s'être détournée de la Turquie au cours des dernières années". Selon lui, "ouvrir les négociations d'adhésion sur les chapitres cruciaux que sont la justice et les droits fondamentaux serait particulièrement pertinent et opportun".