Depuis ce matin, on devait commencer à douter mais ça fait longtemps qu'on tient nos certitudes. On sait par exemple que les prix vont flamber. Mais le ministre du Commerce nous a encore dit qu'il n'en sera rien et nous avons la certitude que ce n'est pas vrai, pendant que lui doute qu'il nous a convaincus. Mais par quel miracle compte-t-on «stabiliser» les prix de produits dont la consommation se multiplie par des nombres à plusieurs chiffres pendant un mois ? On doute qu'on ne se soit pas posé cette question quand on a au moins une fois dans sa vie entendu parler de l'offre et de la demande mais on a la certitude qu'on nous mène toujours en bateau. Comment la viande peut-elle garder ses prix quand plus de vingt millions qui, d'habitude n'en mangent que rarement ou pas du tout, s'y mettent d'un coup, tous ensemble et tous les jours pendant un mois ? On doute qu'on puisse agir sur des prix libres mais on a la certitude de manger de la viande même en vendant ses meubles. La viande, il est certain qu'on va encore en importer mais on doute qu'elle puisse être vendue à son prix. Encore moins qu'elle ne soit pas mélangée à la viande locale. Il faut jeûner pendant un mois pour avoir une idée de ce qu'endurent ceux qui ont toujours faim. Alors on se prépare pour bien manger. Ramadhan, il ne suffit pas de se priver, c'est un mois tout dédié à la spiritualité, au pardon, à la générosité et à la maîtrise de soi. Alors on ne se prive de rien. Bien au contraire, on se permet tout. On s'invente même de petits et grands nouveaux plaisirs. On lave les murs à grande eau, on achète une nouvelle vaisselle «spéciale privations» parce que l'esthétique, c'est important pour manger en pensant à ceux qui ont toujours faim. C'est-à-dire nous-mêmes, pendant la journée. On repère la nouvelle spécialiste du matlouâ spécialement arrivée de M'sila. On ne la connaît pas encore mais pas de doute, on a la certitude qu'elle est imbattable dans son secteur. Il y a le matlouâ et tout le reste. Voyons un peu, avec la spiritualité. Comme pour la vaisselle, il faut un nouveau qamis et un nouveau tapis qu'on va chercher chez le nouvel importateur. Il faut surtout que ça se voie. Et ça se voit, c'est certain… à ne point en douter. On choisit son qamis et son tapis. On choisit aussi ses prières. Ça ne sert pas à grand-chose d'aller à la mosquée à l'aube pour n'être vu que par ses «acolytes». Le dohr, voilà une prière. La fraîcheur d'une grasse matinée qui vire tous les jours à l'obésité, les jeûneurs «normaux» qui entament la course vers les… courses, au moment où encore frais, ils ont le temps de regarder passer les tapis. Ils les voient les tapis sur les épaules de ceux qui, comme eux, ne voient pas passer les mendiants. Avant qu'on ne commence à vociférer devant les étals. Avant qu'on ne commence à cracher par les vitres sur l'autoroute en mettant une pierre sur la pédale de droite. Il faut être exemplaire dans son comportement, le Ramadhan, ce n'est pas que les privations pour les jeûneurs qui ne se privent de rien du tout. L'adhan n'est déjà plus très loin, alors on en profite pour avoir sa place dans le concours de l'«exécrabilité». Il n'y a plus de doute, «l'empiffrage» est imminent. Ce soir, on doutera un peu mais on saura quand même si c'est demain. Et si ce n'est pas demain, on sera certain que c'est après-demain.