C'est finalement un ramadhan comme les autres. On s'y attendait un peu, mais comme d'habitude, on a bien voulu croire que quelque chose allait changer. Comme d'habitude, on nous a dit que toutes les dispositions étaient prises pour que rien ne nous manque pendant trente jours. S'ils parlaient des étals de marché et des supérettes, on le savait déjà. Ça fait longtemps que rien ne manque pour ceux qui ont de l'argent. Et ceux qui ont de l'argent sont de moins en moins nombreux. Les nouveaux riches sont plus visibles que les nouveaux pauvres, c'est connu. Les premiers ont de plus en plus de choses à étaler et les seconds de plus en plus de misères à cacher. On nous a aussi dit que les prix n'allaient pas augmenter mais les prix ont augmenté bien avant qu'on commence à jeûner. Elles sont précoces, les flambées. Puis on nous a rassurés qu'une fois la fièvre des premiers jours passée, les prix allaient se «stabiliser». Et ils se sont stabilisés… après l'augmentation. On peut toujours se consoler du fait que les «rassureurs» n'aient pas été précis, mais ce n'est plus important. Rien n'est plus important, le ramadhan est en train de pousser ses derniers râles. Quand c'est fini, tout est fini, avant la résurrection. L'année prochaine, à la même date plus dix jours, avec les mêmes températures plus quelques degrés et les mêmes diouls avec une dizaine à la douzaine, nous recommencerons. Ramadhan tire à sa fin et personne n'est mort de n'avoir pas mangé de courgettes. Il y a tellement de façons de mourir qu'elle ne va pas s'y mettre aussi, celle-là. On meurt de maladie parce qu'on est mal ou pas du tout soigné, on meurt de chaleur parce qu'il fait trop chaud, on meurt sur la route même quand on n'a pas bu, on meurt du terrorisme même quand il est résiduel, on meurt de mines antipersonnel cinquante ans après le départ de la France, on meurt en France, on meurt d'ennui et on meurt de sa belle mort. Le ramadhan tire à sa fin et dans ses derniers râles, il nous fait oublier que nous avons faim. Il faut choisir, masser son ventre pour le soulager des crampes d'estomac ou se préparer pour l'Aïd, il n'y a pas assez de temps pour les deux. Les journées sont longues mais trop courtes quand on se lève à quatre heures de l'après-midi. Il faut maintenant aller chercher le pain et la zlabia pour tout le monde, les habits et les jouets pour les enfants. La «fête» approche, et étrangement, personne n'est venu nous rassurer sur les prix. Et c'est sans doute mieux ainsi, on sait ce que ça nous a coûté d'être rassurés il n'y a pas si longtemps. Des victoires à la Pyrrhus, on n'en manque pas. Mais nous sommes toujours là, à compter les nombreuses défaites et à redouter quelques triomphes. L'Aïd est presque là, une autre vie commence qui n'est pas plus brillante. Curieux d'être pressé, de moins bien manger, de ne plus sortir et de ne plus prier. Le pays va rentrer à la maison après une cure de boureks et quelques curées sans les chiens. Après l'Aïd, il paraît que c'est les vacances. Elles auraient pu commencer avant mais on ne dispute pas la vedette au ramadhan, quand le hasard du calendrier tournant l'impose. N'est-ce pas qu'il est sacré ? Alors on en parle après. On a presque oublié qu'on nous a aussi rassurés sur la propreté des plages, la sécurité des lieux et l'animation de nos soirées. Ça fait longtemps. Mais c'est sans importance, ce n'est déjà pas très brillant quand les assurances sont toutes fraîches. Rien n'a changé, ou plutôt si, l'été commence maintenant en août.