La sortie d'un film du prestigieux cinéaste égyptien est toujours un événement. Elle ne laisse pas indifférent et la nouvelle production de Youcef Chahine n'échappe pas à cette règle. Après une trilogie particulièrement sombre, L'Emigré en 1995, le Destin en 1997 et l'Autre en 1999, Youcef Chahine, le plus charismatique des réalisateurs égyptiens, change de ton et laisse libre cours à la liesse. Silence, on tourne est une comédie musicale à la gloire des gens de l'art et du cinéma plus particulièrement. Malak, belle, riche et célèbre chanteuse et actrice est le portrait type d'une victime de sa passion. Essentiellement entourée par une armada de techniciens, la femme n'a plus de place à offrir à ses proches. Un mari, lassé, qui la quitte, une fille, adolescente récalcitrante, qui lui fait des misères et une grand-mère qui ricane du monde dans lequel s'est fourvoyée sa petite-fille, servent de toile de fond à l'oeuvre. Malak est, un soir, après un concert, abordée par un psychanalyste qui la séduit. Il s'avérera que cet homme n'est qu'un va-nu-pieds, prêt à tout pour alléger la star de sa fortune et de sa gloire. La chanteuse tunisienne Latifa s'est laissée embarquer dans la galère malgré la réputation effrayante que traîne le capitaine de bord. Youcef Chahine est, depuis longtemps, considéré comme un véritable suceur de talents. La plupart des acteurs, qui sont un jour passé sous sa coupe, ne se sont jamais ou sinon difficilement remis du traitement Chahine. Beaucoup d'entre eux expliqueront leurs chutes respectives dans les oubliettes par le fait qu'ils ne pouvaient plus se plier à d'autres directions artistiques de moindre facture que celle du maître. Dans une interview accordée à un quotidien français, le réalisateur révèle, avec une pointe satirique, sa vision et sa méthode de direction artistique: «Je n'écris jamais pour un acteur en particulier. Je vois surtout des personnages. La sensibilité et l'intelligence, c'est avant tout ce que je cherche chez les acteurs. Quand ils sont intelligents, j'arrive à les diriger. Un crétin congénital, même beau, je n'arrive pas à le cadrer. Cadrer quelqu'un, c'est un sentiment» Chahine n'est pas un cinéaste populaire, il le sait et s'en accommode mais n'en tire aucune fierté particulière. Il est conscient que pour comprendre ses oeuvres, un minimum de connaissances cinématographiques est requis. Silence, on tourne, par exemple, est parsemé de clins d'oeil cinématographiques, un exercice qu'il affectionne. Jubilatoire et rythmée, cette dernière production ne sort pas pour autant des préoccupations cardinales de ce réalisateur hors normes. Invité à la Mostra de Venise, pour présenter son film en avant-première, Youcef Chahine n'a pas hésité à dire, du haut de la tribune, ce qu'il pensait de la situation de son pays. Eternellement contestataire et formellement amoureux de l'Egypte, il ne pouvait en effet se laisser aller à la fête. Dans Silence, on tourne, Chahine dénonce l'immoralité et la corruption érigées au rang de vertus dans une société désabusée. Pour Chahine, cet état de fait n'est que le fruit de lois qui n'encouragent en rien l'élan créatif de la jeunesse. Cette frange de la société trouve ses modèles en des hommes d'affaires, des gens qui ont réussi, peu importe par quel moyen. Le film est aussi une dénonciation de ce que Chahine appelle un excès de religiosité. Pour lui, il faut remonter la pente en montrant des filles qui s'habillent court et qui dansent: «Je n'essaie pas de choquer. Mais quand il y a un excès de religiosité, il faut lutter en allant jusqu'au bout. La censure n'est pas un monstre insurmontable.» Le tournage de Silence, on tourne a été ponctué par les malaises respiratoires du cinéaste. Ceux qui pensent que le cinéaste a opté pour la facilité attendent toujours, non sans quelques inquiétudes, que ce grand monsieur produise un film à la mesure de son mythe. Le temps passe.