Pour la première fois, ils parlent. Un unanimisme morbide veut la mort de l'expression artistique kabyle, les artistes kabyles de renom estiment que le deuil des événements du printemps noir est déjà fait, que les violences, qui ont touché cette région durant près de deux ans, ne sont qu'un prolongement d'une décennie noire affreusement vécue par tout le peuple algérien et que nul n'a le droit de ghettoïser encore plus toute une région. Plus que tout autre membre de la société, de par leur sensibilité, ils disent porter mieux que quiconque la blessure de toute une région, de tout un pays, dans leur chair. Désormais ils comptent se battre pour préserver leur liberté de choix qu'ils estiment inviolable, mais prise en otage par des entités occultes, ici et à l'étranger. Ce collectif d'artistes compte même s'organiser en association pour défendre son droit à la différence. Pour la première fois ils parlent. Ce sont des artistes comme Arezki Larbi (artiste plasticien) et Lounis Aït Menguellet, Djamel Allam, Lounès Khaloui, Hassan Ahriss; tous des chanteurs à texte, qui se sont réunis à la salle Frantz-Fanon de l'Oref (Riad El-Feth). Tout un symbole, puisque le déclic de cette rencontre est justement et non essentiellement l'organisation de l'Année de l'Algérie en France à propos de laquelle l'élite artistique algérienne, spécialement kabyle, ne partage pas le même point de vue, en raison des événements douloureux qu'a vécus la Kabylie. En convoquant une conférence de presse pour crier haut et fort leur refus de tout muselage de la voix de l'artiste, pour défendre la liberté de choix de ce dernier qu'il juge inviolable. Dans une déclaration commune, ils dénoncent des pressions qui ne disent pas leur nom et intiment à l'artiste de se taire. L'artiste et son public sont pris en otage. «C'est parce que votre conscience nous interpelle que nous en appelons à toutes les bonnes volontés pour se prononcer sur ce qui s'apparente à une mort programmée de la culture kabyle en général et de la chanson kabyle en particulier. Conscients du combat pour la démocratie, que mènent les citoyens de Kabylie, nous, artistes kabyles qui avons toujours été à l'avant-garde des luttes pour les libertés publiques, ne pouvons qu'être aux côtés de nos citoyens. Plus que solidaires, nous nous revendiquons du mouvement citoyen qui porte les aspirations légitimes du peuple algérien», rappelle la déclaration commune. Tous les artistes présents et particulièrement ceux installés ou vivant en France parlent de pressions diverses exercées sur les artistes afin qu'il n'adhèrent pas à cette manifestation culturelle qu'est l'Année de l'Algérie en France. Certains parlent d'une pétition aux origines obscures qu'ils auraient été invités à parapher pour signifier un refus «dicté» dudit événement culturel. Aït Menguellat, qui effectuera un passage au Zénith, évoque cette rencontre avec Takfarinas qui l'aurait invité, en termes explicites, à bouder la scène durant cette année, une proposition à laquelle Lounis a rétorqué: «Ce n'est qu'en chantant que je peux crier la douleur kabyle, l'Année de l'Algérie en France est justement une tribune extraordinaire pour notre chanson, d'autant plus qu'avec le public enthousiaste qui existe en France, chanter est la meilleure façon d'alerter l'opinion internationale sur le quotidien vécu en Algérie. Pourtant je ne suis ni politicien ni n'ai de calculs politiques. J'assume mon choix avec tout ce qu'il peut impliquer comme conséquences».Djamel Allam parle de la même pression phénoménale exercée à l'encontre du «libre arbitre» des artistes en France et dénonce ce «on» qui décide à la place de nombreux artistes que l'on veut embrigader dans le cercle vicieux de la peur: «Je ne permets à personne de parler en mon nom, à ma place, je suis un chanteur FLN, je suis un Algérien d'expression amazighe, je ne peux me régionaliser. L'on m'a demandé de signer une pétition pour boycotter, mais je ne suis pas près de le faire, en dépit des menaces. Si, je n'ai pas fait Bercy c'est surtout par souci de ne pas passer pour un jaune. En dépit des tensions, je serai en tournée en juin. Le temps que les choses se décantent.» Quant aux artistes chanteurs vivant en Kabylie, ils déclarent sans ambages: «Si nous ne passons pas sur scène c'est que les portes nous sont sciemment fermées, si elles ne l'étaient pas le monde aurait eu droit à un tout autre visage de la Kabylie. Nous sommes victimes d'une hypocrisie sciemment entretenue. Nous sommes des chanteurs à texte et non de chansonnettes...Notre façon d'être est de chanter pourquoi nous impose-t-on le silence?» En somme ces artistes comptent se battre pour défendre et préserver leur liberté de choix, tout en refusant d'être exclus d'un champ auquel ils appartiennent.