Abordant les «événements de 1830», le président français a souligné qu'il est temps de «marquer un tournant (décisif) dans (cette) relation à la fois complexe, riche, douloureuse et finalement tragique». Un tabou, le plus important de tous, vient ainsi de tomber. Le président français, Jacques Chirac, en visite d'Etat de trois jours en Algérie, la première du genre entre les deux pays, a eu, hier, une journée très chargée. Plusieurs centaines de milliers de personnes, selon les plus basses estimations, et un million et demi de citoyens, selon certains, étaient descendues acclamer les deux chefs d'Etat dans des bains de foule que le pays n'a plus connus depuis la mémorable visite de Gamal Abdel Nasser en Algérie. Le verdict de la rue, sans appel et sans ambages, a précédé la déclaration de politique commune signée par les deux présidents hier, tard dans la soirée, comportant une totale refondation des relations entre les deux pays. Le premier entretien entre les deux chefs d'Etat n'a commencé, hier, que vers 19h alors que, dans le même temps, des rencontres similaires avaient lieu entre les délégations des deux pays. La déclaration de politique commune, axée sur quatre points fondamentaux, représente, aux yeux de tous les observateurs, «un véritable départ vers des relations saines, efficaces, constructives et riches» entre ces deux pays que 130 ans de passé douloureux commun ont déchirés sans le moindre espoir de rémission avant cette visite qualifiée d'«historique» par la quasi-totalité des médias et politiques français. La déclaration insiste particulièrement sur la nécessité d'intensifier la coopération économique entre les deux pays. La France, qui a perdu sa place de premier partenaire de notre pays, a tout intérêt à revenir à l'offensive avec la sortie de l'Algérie de la zone rouge et la venue de nombreux investisseurs étrangers représentant les cinq continents de la planète. La France, dans son désir d'aller vers des relations privilégiées avec notre pays, se propose, dans le même document, de seconder notre pays dans ses réformes. Le terme générique de «réformes» sous-entend aussi bien l'administration, avec l'expérience certaine que détient la France dans ce domaine, que d'autres domaines liés à la gestion des petites et moyennes entreprises, la réforme bancaire qui traîne toujours la patte, etc. Les signes de bonne volonté, au reste, n'ont pas tardé à se faire jour. Hier, en effet, pas moins de trois accords de coopération, d'un total de 95 millions d'euros, ont été signés entre la France et l'Algérie. L'Agence française de développement, qui a conclu ces trois accords avec notre ministère des Finances et le CPA, compte allouer un montant de 30 millions d'euros pour parachever la construction du barrage de Taksebt, 25 millions d'euros pour la résorption de l'habitat précaire et, enfin, 40 millions d'euros en vue de promouvoir la PME-PMI, un domaine dans lequel la France dispose d'une expérience certaine. La presse française d'hier n'est pas demeurée en reste, et a accordé une très bonne place à cet événement dans ses colonnes, allant parfois jusqu'à lui consacrer des éditos, ou des dossiers entiers comme l'ont fait Le Parisien et Le Figaro alors que Le Monde a réservé sa première ouverture à cet événement. Ce n'est pas tout. Le «devoir de mémoire», contenu dans la «déclaration de politique commune» aux deux Etats, a lui aussi été largement pris en charge. Le recueillement, hier, de Jacques Chirac sur la mémoire des martyrs de la Guerre de Libération nationale, au Sanctuaire des martyrs, est un geste fort en direction de la reconnaissance par la France de son passé colonial. Accompagné du représentant personnel du Président algérien, le chef d'Etat français a déposé une gerbe de fleurs au pied de la stèle commémorative. Chirac, en outre, est revenu sans détours aucun sur la colonisation, avec les conséquences qui en ont découlé, dont ce «destin commun», «tragique», «douloureux», mais également «riche». Cela, avant de souligner, de manière explicite, qu'il n'est que temps que la page soit enfin tournée. Au moment où le président Chirac accomplissait cet acte très fort en symboles, une délégation de pieds-noirs, conduite par le consul général de France en Algérie, Jean-Paul Dumont, a effectué une visite d'amitié à Blida, la ville des Roses. C'est la toute première fois qu'une forte délégation de rapatriés français rencontre des élus et des commis de l'Etat pour parler de manière dépassionnée des affaires intéressant les deux communautés, telles que l'entretien des cimetières chrétiens, mais aussi renouement des relations cordiales et constructives à tous les plans. Ce n'est, au demeurant, pas sans raison que Philippe Nouvion, natif de Oued El-Alleug, responsable de Recours-France, a laissé éclater son émotion en constatant que le registre d'état civil de 1847 à 1961, dans lequel se trouvent encore les noms de sa famille et de ses amis, a été exhibé dans un état de conservation remarquable. Plus ému que jamais, revenu sans doute des années en arrière, il a évoqué un dicton bien de «chez nous» qui dit: «Elli fet met». Français et Algériens ont prouvé hier qu'ils ne désiraient rien moins que cela.