L'optimisme quant à une guerre propre et courte semble anéanti. Ce que redoutaient le plus les stratèges du Pentagone et leurs penseurs politiques est en train de se produire: les attentats-suicide ou, pour rester dans le jargon militaire, les opérations kamikazes sur le champ de bataille en Irak même. La première action de ce genre s'est produite hier matin à un barrage routier dressé par l'armée américaine au nord de la ville de Najaf, à 150 km de Bagdad. Bilan: 4 soldats US tués, selon le dernier bilan des responsables de l'armée américaine. Cette action aurait été menée par un officier de l'armée irakienne qui a voulu donner, selon la télévision de ce pays, «une leçon aux troupes américaines». Parallèlement, le rituel des bombardements incessants sur la capitale irakienne et les autres villes qui ne veulent pas se plier aux plans américano-britanniques a continué avec ses lots de dérapages ou d'«erreurs» de ciblage qui ont fait de nouvelles victimes parmi la population civile. La dernière «bavure» en date, comme on nomme désormais ces tueries en masse, a fait, avant-hier soir, entre 38 et 52 morts et des dizaines de blessés dans un marché populaire de Bagdad. Au total depuis vendredi ces bombardements ont fait pas moins de 68 morts et plus d'une centaine de blessés selon le ministre irakien de l'Information, Mohamed Saïd Al Sahaf. A cela, s'ajouterait ce que les forces de la coalition présentent d'ores et déjà comme un haut fait d'armes pour ne pas dire d'exploit militaire: la destruction près de Bassora d'un immeuble qui abritait une réunion de quelque 200 membres du Parti Baâs au pouvoir en Irak. Côté américain, seuls 34 soldats auraient trouvé la mort depuis le début de l'offensive militaire de la coalition contre l'Irak, le 20 mars dernier, selon des sources d'information militaires américaines. Pourtant, la résistance dans le Sud irakien ne semble pas fléchir puisqu'en dépit de tous les discours clamant ce que les responsables militaires américano-britanniques appellent «la sécurisation» de plusieurs localités proches de la frontière koweïtienne, Koweït City a été frappée vendredi pour la première fois depuis le début de la guerre par un missile irakien de type Sylkworm de fabrication chinoise qui a fait deux blessés. Les gesticulations pour l'ouverture d'un second front de confrontation au nord de l'Irak continuent, puisque dans le même temps où on signale l'arrivée de troupes spéciales américaines dans le Kurdistan des informations relatives à l'abandon par les forces irakiennes de positions dans cette région sont évoquées. Bref, d'une manière générale, comme l'a réaffirmé un porte-parole du commandement militaire américain au Qatar, «il n'y a pas de pause sur le champ de bataille», préférant parler simplement de sa «réorganisation» pour plus de massacres et de destructions. Autrement dit, le conflit militaire en Irak entre la clique des jusqu'au-boutistes de Washington et l'indétronable maître de l'Irak, est en train de produire ce que le Premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin n'a pas hésité un instant à qualifier d'«horreur». Si les bilans des pertes humaines depuis le déclenchement des hostilités sont souvent minimisés ou volontairement omis dans les deux camps, il est désormais acquis chez tous les observateurs objectifs que les habitants des centres urbains irakiens ont déjà payé un lourd tribut à la guerre et la première dizaine de jours de guerre qui a été très sanglante, notamment dans les rangs des populations civiles, donne une idée sur ce que sera la boucherie si jamais le conflit devait perdurer plusieurs semaines ou plusieurs mois. Dans l'autre camp, les premiers rapatriements de soldats américains et britanniques morts ou grièvement blessés dans les combats sur le champ de bataille ont commencé avec leur rituelles cérémonies incitant à encore plus de «patriotisme» entendre par là à plus d'agressivité et de militarisme. Plus grave encore, alors que la crise humanitaire se précise au fil des jours sur fond de polémiques quant à la prochaine reprise ou non du programme de l'ONU «Pétrole contre nourriture» - la résolution adoptée par le Conseil de sécurité a été rejetée par Bagdad - des entrepôts de nourriture importée dans le cadre de ce programme (76.000 tonnes ) auraient été détruites à Bassora par des bombardements britanniques, selon le ministre irakien du Commerce. Que déduire de tout cela, sinon que la poursuite de l'offensive militaire américano-britannique en Irak est, dès à présent, autant une boucherie humaine à ciel ouvert qu'une tragédie humanitaire dans un monde pourtant dit de civilisation, de droit et de prospérité économique, mais...seulement au profit des plus forts.