La centrale syndicale, qui revendique 4 millions de sympathisants, verrait d'un mauvais oeil une pareille alternative. De nombreuses sources proches de la Centrale, jointes hier par téléphone, nous ont indiqué que l'Ugta, qui n'a certes pas à s'immiscer dans des questions d'ordre institutionnel, refusera quand même de voir ses revendications renvoyées aux calendes grecques sous prétexte qu'il faudrait du temps au nouveau gouvernement avant de s'imprégner des dossiers litigieux ou en suspens. Le secrétaire général de l'Ugta, aussi bien en public qu'en privé, n'a jamais caché sa «sympathie» pour le Chef du gouvernement. Ali Benflis, on s'en souvient, a été l'un des rares chefs de gouvernement à initier un dialogue social franc et à mettre en place des mesures concrètes en réponse aux revendications urgentes de l'Ugta, notamment en gelant les plans de privatisation de Hamid Temmar et en plaçant la gestion des comités de participation de l'Etat sous sa coupe directe. La marque de confiance de la Centrale vis-à-vis de Benflis que sa direction est allée jusqu'à lui accorder l'arbitrage en cas de litiges entre syndicats et patrons à propos de la privatisation d'une quelconque entreprise. Benflis a également dénoncé publiquement le projet de loi sur les hydrocarbures de Chakib Khelil, sans arriver, toutefois, à le geler. Ce texte, comme par miracle, a été retiré officiellement, mais temporairement, il y a de cela quelques semaines. Benflis, toutefois, semble avoir atteint les limites objectives de son pouvoir réel, puisque des ministres comme Hamid Temmar ou Chakib Khelil l'ont souvent défié, en maintenant le cap de leur politique antisociale en dépit des instructions de leur chef hiérarchique direct et des graves menaces d'instabilité chronique imposées au pays. Ces deux ministres, que l'on dit proches du Président, se seraient appuyés sur cette donne pour s'engager dans un véritable bras de fer avec leur Chef du gouvernement. Maintes fois, la Centrale avait signalé n'avoir pas de problèmes avec le responsable de l'Exécutif, mais seulement avec certaines personnes précises de son équipe. La Centrale Ugta était même en train d'étudier l'éventualité de refuser d'aller vers une bipartite à laquelle prendrait part un ministre comme Hamid Temmar. Tout dialogue, est-il besoin de le rappeler, avait été rompu entre l'Ugta et le ministre depuis que Sidi Saïd avait claqué la porte lors d'une rencontre sur les privatisations durant laquelle Temmar avait tenté d'imposer ses points de vue et d'instrumentaliser politiquement cette rencontre. La fameuse grève de deux jours est intervenue tout juste quelques semaines après. Si Temmar n'en est pas totalement responsable, il y est sans doute pour beaucoup. Nos sources craignent fort que le pouvoir ne prenne prétexte de ce changement de gouvernement, de plus en plus probable, dit-on, pour demander un délai supplémentaire pour la tenue de la bipartite. L'Ugta, qui a décidé de passer à la vitesse supérieure depuis quelques mois déjà, expliquent nos sources, n'exclut pas le recours à un nouveau débrayage national. Cette éventualité trouve sa justification, notamment, dans les retards que prendrait la mise en place du nouveau statut général de la Fonction publique et de la revalorisation du Smig, attendue depuis des années par des millions de travailleurs au pouvoir d'achat fortement érodé par l'inflation et la hausse vertigineuse des prix des biens et services. Il n'échappe à personne, non plus, que le changement de gouvernement reportera de facto la date de la tenue de la bipartite, dite de la dernière chance initialement annoncée pour la fin du mois en cours. Deux rencontres informelles étaient attendues entre Ali Benflis et Abdelmadjid Sidi Saïd. Mais actuellement, tout est à l'arrêt. Les institutions, au même titre que leur partenaire social, retiennent leur souffle dans l'attente des décisions que prendrait le chef de l'Etat dans un avenir très proche. Les profonds désaccords apparus entre Bouteflika et son Chef du gouvernement, qui devraient déboucher sur la chute de l'Exécutif, risquent de coûter très chef au Président sur le plan social. L'échéance présidentielle, inscrite dans une perspective assez lointaine, semble faire perdre de vue aux responsables des questions autrement plus proches et plus pressantes. La bombe sociale, qui risque fort d'être réactivée à la suite de cette crise institutionnelle au sommet, ne saurait être désamorcée aussi facilement.