Le froid qui a soufflé au sommet de l'Etat a montré tout le poids du pouvoir exécutif dans notre pays. Les récents développements sur la scène politique nationale révélant un froid entre le chef de l'Etat et son Chef du gouvernement, même démenti par ce dernier, montrent que l'organisation du pouvoir exécutif telle que consignée dans la Constitution est arrivée à ses limites. Au plus fort de la rumeur, les observateurs se perdaient en conjectures qui, toutes, débouchaient fatalement sur une crise institutionnelle majeure. En effet, quels qu'en soient les scénarios envisagés en cas de clash entre les deux plus importants personnages de la République, la paralysie du pays serait une fin inéluctable. Benflis, désigné pour appliquer le programme du chef de l'Etat, n'est, en fait, pas moins un homme politique dont le parti est sorti grand vainqueur des dernières élections législatives, donc porteur d'un programme pas nécessairement celui du chef de l'Etat. Son maintien par Bouteflika à la tête du gouvernement passe pour être, aux yeux des observateurs, comme une suite logique au succès électoral du FLN. Le Président de la République, lors de la précédente législature, a présenté un programme qui se doit de composer avec celui du FLN de 2002. La mésentente, si mésentente il y a eu, découlerait du fait que deux programmes se télescopent à un an de la présidentielle. Même si dans le cas de figure actuel, le désaccord pourrait être minime du fait que le parti de Benflis a soutenu la candidature de Bouteflika à l'élection d'avril 99, il n'en demeure pas moins que les prérogatives du Président et du Chef du gouvernement ne sont pas clairement établies, de sorte qu'une véritable crise puisse survenir dans le cas d'une cohabitation «contre nature». Plus encore, froid qui a soufflé au sommet de l'Etat a montré tout le poids du pouvoir exécutif dans notre pays. Faut-il noter que durant des semaines, les députés qui en principe représentent un pouvoir indépendant, se sont contentés de commenter en coulisse les prétendus désaccords entre El-Mouradia et le Palais du gouvernement? Aucune initiative publique n'a été prise dans un sens ou dans l'autre. La réaction des parlementaires est somme toute compréhensible au sens où le rôle du pouvoir législatif s'arrête à la désignation du gouvernement et au vote des lois, sans autre forme de contrôle de l'Exécutif qui reste dominant dans notre pays pour des raisons historiques. En effet, depuis l'indépendance, l'Exécutif a toujours été l'inspiration du pouvoir en Algérie. Depuis Ben Bella qui a gelé d'autorité la première Assemblée nationale, le pouvoir en Algérie a été exercé, en façade en tout cas, par un gouvernement qui ne se référait à l'APN que pour donner un cachet officiel à ses actions sur le terrain. Il en a été ainsi des différentes politiques de développement sous Boumediene où le gouvernement a lancé de grands chantiers, dont certains étaient contre-productifs, sans qu'on enregistre d'importantes réactions. Durant la période Chadli, le pays est passé à une logique de désinvestissement et de «restructuration économique» mal entamée, sans aucune espèce de contrôle du pouvoir législatif. La décennie 90 a confirmé la prédominance du pouvoir exécutif sur les autres pouvoirs, législatif et judiciaire. Une période qui a aussi mis en exergue tout le poids du militaire dans la gestion de l'Algérie, bien que durant toutes les années de l'indépendance, on donnât l'armée comme principale et véritable détentrice du pouvoir en Algérie. Le rôle quelque peu «discret» de la grande muette dans les affaires de la République a été un facteur déterminant dans le renforcement du rôle du pouvoir exécutif dans la gestion de l'Etat. En effet, lorsque l'institution militaire propose un candidat à la magistrature suprême, il est normal que ce dernier ne veuille rendre compte qu'à ceux qui l'ont mis à la place qu'il occupe. Seulement, force est de constater que la donne est en train de changer, puisque l'armée a publiquement annoncé son intention de se retirer définitivement du champ politique. Les différentes sorties médiatiques du général Lamari attestent d'une volonté de laisser aux politiques le soin de prendre en charge les affaires de l'Etat. Un désengagement qui, forcément, crée un vide et met les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) devant une situation inédite où seule la Constitution est censée trancher. Or, dans le bras de fer (supposé?) entre Bouteflika et Benflis, la loi suprême de la nation ne prévoit autre chose qu'une crise institutionnelle. En tout état de cause, la prochaine élection présidentielle sera déterminante, au sens où l'on saura si l'armée s'est réellement retirée du jeu politique. Auquel cas, l'exécutif devra composer avec un pouvoir législatif revigoré. Dans un an, l'équation de l'équilibre des pouvoirs en Algérie trouvera sa solution d'une manière ou d'une autre.