Les grandes manœuvres diplomatiques autour du projet de résolution américaine sur l'Irak vont se poursuivre durant toute la semaine à venir après les très inhabituelles réserves du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Un haut responsable de l'ONU l'a affirmé clairement vendredi : rien dans le projet révisé américain ne justifie que les Nations unies, cible en Irak de deux attentats en un mois, prennent des risques et retournent dans le pays pour y jouer le rôle mineur que leur réservent les Etats-Unis. “Nous acceptons les risques s'ils en valent la peine mais, si vous lisez le projet, il n'y a rien qui y dit que les Nations unies sont indispensables en Irak”, a ajouté ce responsable, chargé d'expliciter la position de M. Annan exprimée en privé jeudi lors d'un déjeuner avec les membres du Conseil. Lors de ce repas, M. Annan avait déclaré, selon des diplomates présents, que “dans le contexte actuel et dans le cadre de cette résolution, il ne voulait pas prendre de risque et ne voulait pas que les Nations unies retournent en Irak.” Le secrétaire général n'a pas l'habitude de s'exprimer aussi directement. Sa position a eu un retentissement immédiat auprès des pays membres non permanents du Conseil de sécurité qui, après les attentats contre le siège de l'ONU à Bagdad, lui avaient renouvelé leur appui. La menace d'un veto ayant été levée par la France, l'adoption rapide du projet ne faisait guère de doute avant les déclarations de M. Annan. La seule question était de savoir combien la résolution aurait de voix et si elle permettrait ou non aux Etats-Unis d'obtenir l'aide qu'ils recherchent. Pour être adopté, un projet de résolution doit ne faire l'objet d'aucun veto de l'un des cinq pays membres permanents et recevoir au moins neuf voix "pour". "La douche froide provoquée par le secrétaire général rend peu probable que le projet américain puisse, en l'état, recevoir neuf voix", a déclaré vendredi l'un des ambassadeurs représentant l'un des dix pays membres non permanents du Conseil de sécurité qui se sont réunis entre eux jeudi soir. "Parmi les dix, au moins la majorité s'abstiendra", a estimé, également sous le couvert de l'anonymat, un de ses collègues ajoutant que l'atmosphère de la rencontre à dix avait été "lugubre". Le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, a déclaré vendredi qu'il recherchait des éclaircissements sur les objections de l'ONU et de la France. "Nous sommes soucieux d'examiner les suggestions qu'ils veulent faire afin de parvenir à un vote sur la résolution le plus positif possible", a-t-il dit. "Je pense, a-t-il ainsi déclaré, qu'il va y avoir, ici (à l'ONU) et dans les capitales, pas mal de travail en coulisses afin d'essayer de mettre au point une résolution convenable pour tout le monde", a précisé l'ambassadeur américain à l'ONU, John Negroponte. Les possibilités de compromis semblent limitées car les divergences entre la position de Washington et celle de M. Annan, proche de celle de Paris et de Berlin, portent, non sur des aménagements mais sur le principe même de qui doit conduire le processus politique de transfert de souveraineté aux Irakiens et le superviser. "Il ne peut y avoir qu'un chauffeur dans la voiture et Annan n'y montera pas si ce n'est pas lui qui conduit", a indiqué un diplomate. Le haut responsable de l'ONU chargé d'expliciter la position du secrétaire général a pour sa part suggéré que “Paul Bremer (l'Administrateur américain en Irak) devienne l'ambassadeur des Etats-Unis en Irak", un poste "très important".