Les hommes ont toujours éprouvé le besoin de donner, pour mieux se repérer, des noms aux lieux qu´ils fréquentent ou qu´ils traversent simplement occasionnellement. Le baptême de ces lieux s´est fait en premier à cause des caractères topographiques de l´endroit, de sa situation géographique, du service qu´il rend à la population, d´un événement particulier qui s´est déroulé un jour... Ainsi, si vous allez à Bezons (banlieue parisienne - Val-d´Oise), vous trouverez une place appelée Grand-Cerf et vous apprendrez qu´auparavant, sous l´Ancien régime, le roi de France y avait abattu un grand cerf...Avec le développement des villes et la prolifération des rues, ruelles, avenues, boulevards, impasses, passages, ponts, viaducs, les autorités locales, pour des raisons pratiques évidentes, ont emprunté à la mythologie d´abord, puis aux hommes illustres ensuite, les noms qu´ils ont attribués à ces lieux. Les Américains, devant l´expansion d´une cité comme New York, ont fait appel aux chiffres pour classer leurs rues et leurs avenues. Et les autorités locales dans chaque ville ou village puisent dans leur histoire propre, et selon le régime en cours, les noms dont ils affublent leur environnement. Les hommes politiques, les poètes, les écrivains, les hommes de science revivent ainsi sur les plaques qui sont apposées aux angles des artères. Et au répertoire national s´ajoute un autre international: des hommes illustres qui ont oeuvré pour l´humanité tout entière (les grands hommes de science comme Pasteur) ou les grands hommes qui ont milité pour la libération d´une partie de cette humanité (Gandhi, Martin Luther King) reçoivent ainsi une éternelle reconnaissance des hommes qui les admirent. C´est le régime politique en cours qui détermine en général le baptême des rues. En Algérie, au temps du socialisme spécifique, un jardin situé sous l´avenue Pasteur a été clandestinement baptisé square Lénine: on posait la plaque le temps d´une courte visite d´une délégation soviétique et on la retirait aussitôt. C´était un peu un hommage à celui qui avait appelé à la solidarité internationale des travailleurs et à l´éradication du colonialisme. Quand l´Algérie était un pays non aligné et qu´elle militait contre l´impérialisme américain, elle avait dénommé certaines rues et avait honoré des hommes de paix comme Nehru ou des combattants, des héros de la Révolution comme Hô Chi Minh ou Che Guevara, car Alger, qui était dans les années 60, «La Mecque» des révolutionnaires, était le passage préféré de ceux qui combattaient les forces de l´Otan. Et il y avait une fraternité de lutte entre les peuples cubain, vietnamien et algérien. Maintenant que le communisme a vieilli et a courbé la tête, des esprits chagrins ne supportent pas de voir ces noms qui ont porté haut le flambeau de la lutte anti-impérialiste. Ce sont en général (ces esprits chagrins) ceux qui se sont tus ou qui se taisent encore quand les musulmans se font massacrer, que ce soit en Irak, en Palestine, en Afghanistan, au Soudan ou...dans notre pays... Que ces esprits éclairés n´aient pas demandé à ce que l´on change de nom à la place Kennedy, sise à El Biar, Kennedy qui fut président lors de la fameuse expédition dite de «la baie des Cochons» ou qui envoya ses premiers conseillers militaires au Vietnam pour soutenir un régime condamné par l´Histoire. Quand les pompistes enturbannés du Golfe qui ont financé toutes les entreprises dirigées contre le progrès et la liberté dirigeront le monde, peut-être que le nom de Che Guevara sera remplacé par celui qui se trompe de combat.