Je voulais être à tout prix fin prêt, pour assister à ce match qui est quand même d´une grande importance pour tous ceux qui m´entourent et avec qui je dois composer. Car, il faut que je l´avoue, je n´aime pas le football pour de multiples raisons: la première, parce qu´il mobilise tant d´énergies, des jeunes comme des moins jeunes qui passent le plus clair de leur temps, à faire des commentaires stériles à propos de tout et de rien, jusqu´à saturation. La deuxième est qu´il a une influence néfaste sur les jeunes qui préfèrent donner des coups de pied imbéciles dans un ballon plutôt que de se cultiver autrement ou de s´occuper plus utilement. La troisième est que sa pratique dans le quartier où j´essaie de survivre est la cause de nuisances sonores qui troublent le repos. Enfin, c´est un sport qui est corrompu par l´argent et perverti par le pouvoir politique comme exutoire... Et je n´ai pas parlé des violences inouïes qu´il a occasionnées. J´ai commencé à lire les articles de presse relatifs à la Slovénie et j´ai découvert, avec stupeur, qu´un de ces honorables confrères avait écrit que «la Slovénie est née de l´éclatement de la Yougoslavie, après la fin du stalinisme». Je tiens à faire remarquer qu´il ne faut pas confondre communisme et stalinisme, à plus forte raison en Yougoslavie, pays qui fut dirigé par Tito, principal opposant à Staline et condamné à mort par ce dernier. Tito dut alors réviser ses classiques et mettre au point une forme de gestion qui essaiera de conjuguer économie planifiée et autogestion: une gymnastique un peu compliquée qui est appelée «titisme». J´avais découvert la Yougoslavie en 1973 et en 1974, à l´occasion des sommets arabes et des non-alignés qui se tinrent à Alger, alors passage obligé des anti-impérialistes. J´avais été amené à travailler avec la délégation des télévisions yougoslaves, une délégation fort imposante puisqu´elle comptait les cinq télévisions nationales de la Fédération et que le chef était un Serbe dont le nom patronymique était aussi courant dans son pays que Dupont en France. Les matériaux filmés étaient choisis par cet éminent personnage qui composait un envoi principal vers Belgrade tandis que les autres journalistes se contentaient des restes pour bricoler un envoi dans leur langue spécifique. Les musulmans n´étaient représentés alors que par un journaliste dont la présence était toute symbolique. Il ne fallait pas être très perspicace pour s´apercevoir que cet état de choses n´allait pas durer plus longtemps que Tito, et De Gaulle disait fort à propos, que Josip Broz le Croate, n´était que «la ficelle» qui tenait cette fédération. Bien avant midi, le quartier s´était préparé à vivre ce match palpitant: certains croyant au miracle sans cesse renouvelable et à une possible aventure merveilleuse d´une équipe assez mal classée dans les pronostics des professionnels, d´autres ne se faisant pas d´illusion sur l´issue d´une partie très difficile et qui finissent par attribuer la victoire finale sur l´équipe égyptienne que par un sursaut patriotique, de tous, joueurs, dirigeants, supporters... Les commentaires allaient bon train sur les mises en garde de Saâdane et sur la méforme de certains joueurs tandis que d´autres n´hésitaient pas à pronostiquer une victoire assurée de la Slovénie, un petit pays qui avait éliminé un géant: la Russie. Donc, il n´y avait pas de honte à se faire battre puisque, comme le disait le baron de Coubertin, l´essentiel est de participer au rêve insensé que font ceux qui ne font pas la différence entre un pays développé et un pays en voie de sous-développement et que celui qui n´accomplit pas de miracle économique peut toujours courir. Dès midi, la chaleur caniculaire aidant, le quartier avait présenté un silence inquiétant: on entendrait «voler une montre» comme disait San-Antonio. Aucun souffle: quand la fin du match fut sifflée, je compris qu´on passerait une fin de journée tranquille: on l´avait échappé belle!