Depuis le 14 juin 1830 à 3h du matin très exactement, lorsque le premier soldat français a mis pied à terre à Sidi Ferruch, ce n´est pas un, pas deux ni trois millions d´Algériens qui ont été assassinés mais beaucoup plus. Lundi prochain, c´est jour férié. C´est la fête de l´Indépendance nationale. Nous célébrerons son 48e anniversaire. Ceux qui ont cet âge-là en ont une image variable que leurs propres recherches intellectuelles ont pu fixer. En attendant l´écriture de l´histoire qui se fait désirer. Pour leurs enfants qui sont aujourd´hui des adultes, l´image est encore plus variable. Quant aux enfants de leurs enfants, ces adultes de demain, l´image risque d´être encore plus imprécise. Devant un tel drame culturel, aucune occasion ne doit être ratée pour leur témoigner, partager et relire ensemble le long et tragique parcours qui a connu son épilogue le 5 juillet 1962. C´est pourquoi aujourd´hui, nous nous sentons le devoir d´évoquer la mémoire de tous ceux qui ont laissé leur vie au cours de ce parcours d´un siècle et demi qu´aura duré la colonisation de notre pays. On a une fâcheuse tendance de n´aborder la question de nos martyrs qu´à travers la guerre de Libération nationale. Certes, ce fut la plus glorieuse, la plus proche aussi. Ce fut la dernière étape de notre histoire de colonisés avant de connaître les joies de la liberté. Une étape payée chèrement. Un million et demi de martyrs. Un million et demi d´Algériens qui ont laissé leur vie pour que puissent vivre dignement tous les autres Algériens. Ils sont morts pour que plus jamais les Algériens ne vivent l´enfer où l´occupant les avait plongés. Le sacrifice a été énorme. Pourtant, il se trouve des voix pour le contester. Des voix d´outre-mer évidemment mais qui ont, par endroit, réussi à semer le doute et rallier certains parmi nous à leur thèse minimaliste. Le chiffre d´un million et demi de martyrs au cours de la guerre de Libération nationale leur semble exagéré. Laissons ce travail à nos historiens car le débat sur ce sujet est un faux débat. Il ne sert qu´à focaliser les esprits pour mieux occulter tous les crimes commis par le colonialisme avant le 1er Novembre 1954. Depuis le 14 juin 1830 à 3h du matin très exactement, lorsque le premier soldat français a mis pied à terre à Sidi Ferruch. Durant toute cette période ce n´est pas un pas, deux ni trois millions d´Algériens qui ont été assassinés, mais beaucoup plus. Là aussi il revient à nos historiens de le dire avec précision. Cependant et sans attendre, il est aisé à chacun d´entre nous de se faire une idée de l´ampleur du massacre. D´abord, il faut rappeler que nous avons échappé de peu à l´extermination. Nous avons échappé de peu au sort des Indiens d´Amérique. Ensuite, et en parcourant des ouvrages sur l´occupation française en Algérie, il y a de quoi horrifier toutes les générations à venir et jusqu´à l´éternité. A une ou deux exceptions, tous les officiers de l´armée coloniale qui se sont succédé, de de Bourmont à Massu en passant par Bugeaud, Lamoricière, Damrémont, Saint-Arnaud et des dizaines de centaines d´autres ont à leur actif des carnages sur les populations algériennes. Pour donner une dimension à la sauvagerie de ces officiers, l´historien Charles-André Julien cite dans un de ses ouvrages un extrait de rapport de l´un d´eux: «Aussitôt l´emplacement de la tribu connu...on arrive sur les tentes dont les habitants réveillés par l´approche des soldats, sortent pêle-mêle avec leurs troupeaux, leurs femmes et leurs enfants; tout ce monde se sauve dans tous les sens; les coups de fusils partent de tous les côtés sur les misérables surpris sans défense...le feu est ensuite mis partout à ce que l´on ne peut emporter...» Multipliez la méthode par autant d´officiers et vous aurez le nombre d´Algériens victimes des crimes de la colonisation. C´est ce travail-là qui devrait être fait pour se rendre compte que le million et demi de martyrs paraîtrait dérisoire n´était la courte période, comparativement à plus d´un siècle de massacres, qu´aura duré la guerre de Libération nationale. C´est que la sauvagerie a redoublé de férocité et le napalm a été inventé entre-temps. Lundi, c´est la fête mais c´est aussi un moment de recueillement. A la mémoire de tous nos martyrs. Ces millions d´Algériens que l´on retrouve morts au fil des pages d´une histoire sanglante d´un siècle et demi d´occupation sauvage. Aucun révisionniste ne pourra changer l´histoire. Ni falsifier son écriture. Le serment en a été fait aux martyrs. Les Algériens ne n´oublieront jamais. ([email protected])