Si Boudjemaâ n´est pas surpris. Plus rien ne le surprend maintenant. Il sait à quoi s´attendre à présent dans ce «pays de miracles» comme l´a si bien dit un certain président qui ne doit plus croire au Père Noël depuis longtemps. Enfin, depuis bien avant Si Boudjemaâ. Car les yeux de Si Boudjemaâ ont commencé à s´ouvrir depuis qu´un certain ancien Premier ministre a dit... Enfin, pas besoin de remuer les cendres du passé. Eh oui, Si Boudjemaâ a longtemps été aveuglé par la propagande et par les nobles sentiments qui l´animaient. Il croyait que toutes les gens étaient comme lui, pétries dans la même pâte qui avait levé doucement durant les années de braise. Mais maintenant, il a découvert qu´il régnait dans ce pays qui avait connu d´intenses moments de solidarité, la véritable Loi de la Jungle. Il voit derrière le sourire de chaque commerçant le rire de l´hyène et chaque fois qu´un homme politique ouvre la bouche, c´est le loup qui parle. C´est pour cela que plus rien ne l´étonne: voilà un pays où La Fontaine n´aurait pas besoin d´emprunter des noms d´animaux pour désigner les hommes... C´est la raison pour laquelle Si Boudjemaâ ne croit plus aux promesses. Il en a connu des ministres de la Santé. Combien ont défilé à ce poste névralgique, chacun allant de sa petite chanson: ça ira mieux demain! Mon oeil! Si Boudjemâa n´a pas encore rencontré quelqu´un se féliciter de l´accueil ni du service rendu quelque part. Peut-être qu´il n´a pas rencontré les gens qu´il fallait: ceux qui on été sauvés par l´habileté d´un chirurgien extraordinaire, un de ces rares hommes qui n´a pas pensé mettre les voiles. Les patients qu´il a rencontrés se plaignent de la même façon que ceux qui ont eu affaire au monde kafkaïen de la justice: longues démarches et longues attentes d´une bureaucratie omnipotente. Ce sera la même litanie qui s´imposera quand le sujet du logement est évoqué: ce sont toujours les mêmes qui sont servis et les professionnels de l´habitat précaire sont indéboulonnables. C´est la raison pour laquelle Si Boudjemaâ est optimiste: ça ira de mal en pis quoi qu´en disent les professionnels du bla-bla-bla. Est-ce que les choses s´améliorent d´abord? Hormis les sièges et la climatisation des salles d´attente de la Casoral, il n´y a rien de mieux qui aille. La veille du Ramadhan, tous les médias, tous supports et fréquences confondus, ont rapporté les propos lénifiants de responsables qui ont promis que toutes les précautions ont été prises pour qu´il n´y ait pas de flambée des prix et qu´une armada de contrôleurs serait lancée sur le théâtre des opérations... Théâtre est bien le mot qu´il faut ici! Eh bien, Si Boudjemaâ a voulu vérifier de visu ce qui se passe sur le marché de la cité où il croupit depuis vingt ans déjà. Malgré son âge et la chaleur accablante, il emprunta la piste poussiéreuse qui menait vers ce sanctuaire où devait régner la véritable réconciliation nationale entre les saigneurs et les éternels dindons de la farce que sont les consommateurs. Quelle ne fut sa stupeur quand il vit sur la même piste brûlée par le soleil une théorie de marchands «à la sauvette «proposer mille et un brimborions que s´arrachent des femmes contaminées par la fièvre des achats! La même odeur nauséabonde règne toujours autour de la décharge située sur le seuil même du marché. Et à l´intérieur, c´est un véritable capharnaüm: il n´y avait plus place où mettre le pied! Entre les consommateurs qui prennent d´assaut les étals et les livreurs qui font entrer et sortir les chariots dans un charivari général où les boniments lancés par des vendeurs excités par l´afflux de clients et les disputes inévitables qui éclatent dans une telle densité de population, Si Boudjemaâ, en jouant des coudes, a cherché en vain l´ombre d´un contrôleur, qu´il soit d´hygiène ou des prix. Les prix sont au plafond, les jus douteux sont toujours vendus dans des sachets en plastique et aucune trace de la viande indienne.