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Guernica
Publié dans L'Expression le 08 - 02 - 2011

Les dates sont des productions intellectuelles de l´esprit humain faites pour fertiliser la mémoire. Se souvenir, c´est apprendre et c´est comprendre surtout les faits historiques pour mieux gérer le présent et l´avenir. Il y a des journées qui sont ainsi marquées du sceau fatidique de l´Histoire pour un peuple déterminé et certaines le sont pour deux peuples que la géographie et l´histoire ont unis pour le meilleur et pour le pire. C´est ainsi que le 8 février est une journée que deux peuples frères peuvent célébrer ensemble dans la solennité du recueillement, à la mémoire des victimes innocentes fauchées par l´aveugle barbarie d´une guerre coloniale anachronique. Et l´Histoire, implacable, montre que la France est toujours en retard d´une guerre.
L´Algérie peut s´enorgueillir d´avoir toujours eu un appui solidaire de la part du peuple et du gouvernement tunisiens tout au long de son histoire et ne rencontrera pas les mêmes déboires qu´avec son voisin et frère de l´Ouest: il faut se souvenir qu´en berbère le nom de Bocchus est devenu synonyme de traître comme celui de Judas dans la tradition chrétienne. Ne remontons pas à l´Antiquité pour qualifier l´attitude des uns et des autres dans la lutte des peuples du Maghreb pour leur survie: les complots avec l´impérialisme occidental ont toujours été la pierre angulaire de la diplomatie chérifienne. Mais heureusement que ce n´est pas le cas avec la Tunisie, et, Sakiet Sidi Youssef est là pour nous le rappeler. Le nom de ce petit village de la frontière sonne comme celui de Guernica ou d´Oradour-sur-Glane. Il a montré le vrai visage du colonialisme français et a servi de ciment à deux peuples. Revenons à 1958: alors que la Guerre d´Algérie fait rage, l´armée française subit régulièrement des attaques de l´ALN.
Le 2 janvier se produit un accrochage à la frontière lors duquel les Algériens réussissent à capturer quatre soldats français et à les ramener dans la région du Kef. Le gouvernement français charge le général Buchalet de porter un message au président Bourguiba dans le but de relancer les négociations franco-tunisiennes et de rappeler au président tunisien ses obligations de neutralité. Bourguiba refuse de recevoir l´émissaire et menace d´internationaliser le conflit. Le 11 janvier 1958, les moudjahidine attaquent en territoire algérien une patrouille française de cinquante soldats (quatorze soldats français tués, deux blessés et quatre faits prisonniers). Le 8 février, l´armée française indique qu´un avion de guerre français, touché par un tir de mitrailleuse postée à Sakiet Sidi Youssef, a dû se poser en catastrophe à Tébessa. En représailles, le général Jouhaud, futur comploteur contre De Gaulle, commandant de la 5e Région aérienne, planifie un raid aérien sur Sakiet Sidi Youssef et le soumet à sa hiérarchie qui obtient l´accord oral du ministre de la Défense. Jacques Chaban-Delmas, autorise l´utilisation de bombardiers lourds.
L´opération implique 25 avions: onze bombardiers A-26, six chasseurs bombardiers Corsair et huit chasseurs Mistral. Vers 10h50, un marché où se pressent des paysans est mitraillé par les avions en rase-mottes. Par la suite, trois vagues de bombardiers A-26 pilonnent la localité jusque vers midi; les Corsair neutralisent les installations antiaériennes et les A-26 détruisent une mine de plomb désaffectée soupçonnée de servir de camp à l´ALN.
Alors que la Croix-Rouge était dans le voisinage du village durant l´attaque, pour assister des réfugiés, le commandement militaire est prêt à prendre des risques: deux de ses véhicules sont ainsi détruits, ainsi que l´école du village remplie d´enfants en cette matinée.
Le bilan varie entre 72 et 75 morts et 148 blessés, dont une douzaine d´élèves d´une école primaire et des réfugiés algériens regroupés par une mission de la Croix-Rouge.
En représailles, la Tunisie expulse cinq consuls français qui exercent dans les principales villes du pays, organise le blocus des casernes françaises et met sur pied une visite organisée du village pour la presse internationale. Le conflit purement français devient ainsi international puisque la Tunisie porte plainte auprès de l´ONU. Le Conseil de sécurité décide alors une mission de bons offices anglo-américaine. Les communistes votent également la censure. Cette crise ouvre ainsi la voie au retour du général de Gaulle au pouvoir et impose, le 17 juin, un accord entre les deux pays stipulant «l´évacuation de toutes les troupes françaises du territoire tunisien, à l´exception de Bizerte» dont la crise éclatera quelques mois après.
Le 8 février 1962, une manifestation pacifique dirigée par le PCF, sera durement réprimée par le sinistre Papon: c´est Bertrand Delanoë, pied-noir tunisien, qui apposera le 8 février 2007 la plaque à la mémoire des 9 morts et de la centaine de blessés du métro Charonne.


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