L'important dispositif sécuritaire qui a suivi ses pérégrinations avant, pendant et après ce rendez-vous religieux était impressionnant. Hier, vers midi trente, Ali Benhadj, gourou de la jeunesse urbaine pauvre, quitte son domicile pour la grande prière du vendredi. C'est son fils Abdelfettah, âgé de vingt et un ans, qui conduit la Golf qui démarre en trombe. Derrière lui, pas moins de deux voitures suivent -comme dans une course-poursuite- le parcours de la Golf: policiers, services spéciaux, journalistes, «cordon de sécurité» du cheikh et sympathisants s'agglutinent sur la voiture de Benhadj. Celui-ci, facétieux ou rusé, fait plusieurs détours par Aïn Naâdja, l'autoroute de Ben Aknoun, La Concorde, etc. avant de prendre une étroite route montante qui le mène droit devant la porte de la mosquée de Diar Echems Ben Badis. Dans l'enceinte sacrée, Benhadj prend sa place au premier rang et se trouve vite entouré d'un «cordon de sécurité». Les portables et talkies-walkies grésillent. Des ordres sont donnés ou reçus. Tout paraît calme, mais les policiers en civil essayent d'éviter que les gens parlent à Benhadj. Ils font comprendre gentiment aux journalistes, accroupis sur la moquette verte de la mosquée, qu'il faut éviter tout entretien ou question qui pourrait impliquer des réponses et être interprétées comme une expression politique et nuire de ce fait à la liberté du cheikh. A la sortie de la mosquée - il est 14h - c'est toute la cité qui accueille le tribun silencieux (il n'a proféré que des «salamou alaykou» pendant toute la journée) avec force youyous et applaudissements. Les services de sécurité auront eu l'occasion de constater que la cote de popularité de Benhadj reste assez importante. De rares journalistes algériens et correspondants de la presse étrangère présents sur les lieux se font rudoyer. Des appareils photos sont saisis et les policiers en civil se montrent intransigeants sur ce plan-là, il n'est plus toléré de faire de la médiatisation pour un homme déchu de ses droits civiques et politiques. C'est une stratégie du «tout-préventif», concoctée par les gourous du néo-sécuritaire, mise en place pour contrer l'activisme islamiste radical, représenté par Ali Benhadj. Dans ce bras de fer engagé le matin même de la libération du n°2 de l'ex-FIS, Benhadj joue la carte de la modération. Hier, il a été plutôt silencieux, observateur et pondéré. En évitant de se rendre à la mosquée Es-Suna, fief des fiefs de l'ex-FIS, située en plein coeur de Bab El-Oued (un quartier particulièrement sensible et qui a été au centre des luttes engagées par les islamistes contre les autorités), Benhadj a fait preuve de mesure. Mais, il est tout à fait clair qu'un faux pas sera fait, d'un côté ou d'un autre. Et là, il faut vraiment croire que les mesures prises à l'encontre de Benhadj ne sont pas les meilleures et qu'une nouvelle tendance politique activant en sous-sol est autrement plus dangereuse que la légalité.