La représentation Pose ta valise a sonné mardi à Béjaïa comme un hymne à la vie, une sentence à cesser le voyage, invitant ses candidats à une devise simple: «Vis l'instant là où tu es, car la vie n'est pas éternelle». En reprenant le répertoire subtil de la chanson de l'exil, dont des morceaux mythiques de Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui et H'nifa, Géraldine Benichou, metteuse en scène au théâtre du Grabuge de Lyon (France), a réussi le tour de force de transformer «la tragédie de la transplantation» en fresque musicale adoucie et adoucissante. Car dans son regard, la ritournelle de l'émigration est certes une complainte, mais reste un moment de vie et de transformation. Pour y parvenir, son choix s'est porté sur l'ivresse que procurent les mots et le bon refrain musical. Elle a fait évoquer Tamurth, Lebled et El Ghorba, en prenant soin de ne pas tomber dans «le misérabilisme» que peut supposer l'exil, mais en focalisant sur la continuité de la vie et les espoirs qu'elle offre. Elle n'est plus dans l'esprit de lemsafer irouh wey welli (Le voyageur revient toujours) de Dahmane El Harrachi, mais dans la logique de Ayakchiche (jeune homme) pose ta valise de Cheikh El Hasnaoui, qui exhorte à dépasser les vicissitudes de «l'immigré», à bien vivre, sans pour autant couper ses racines et sa culture.Le spectacle, une création à la fois musicale et théâtrale, est un cocktail d'émotions qui ne diverge pas trop de Akin ilabhar, monté il y a quelques mois par Bazou, le musicien attitré du théâtre Abdelmalek-Bouguermouh sur le même thème. A la seule différence, que ce dernier a déroulé sa trame dans une ambiance de cabaret, voire de music-hall des années 1930, alors que Benichou, elle, a choisi, de se produire dans un espace intemporel, qui tient beaucoup plus de la djemaâ du village où tous les acteurs et musiciens s'y mêlent. L'un s'est appuyé, dans sa mise en scène, sur une trame dramaturgique, l'autre, a fait la part belle à un choeur féminin, qui magistralement a raconté «la désespérance et l'espoir, le pays perdu et le pays retrouvé». Les chansons, interprétées par le chanteur Salah Gaoua, y sont entrecoupées par des récits, construits en ateliers par un groupe de femmes anonymes de la ville de Béjaïa, associé au spectacle et qui a réussi avec brio son baptême avec les planches. Leur naturel a donné une charge émouvante au spectacle dont la musique a été assurée par Bazou. Le public, en tout cas, a apprécié et s'en est délecté à loisir. C'était léger et profond à la fois. Un vrai bonheur», commente le dramaturge Omar Fetmouche, qui relève que le spectacle a été monté dans cette version algérienne en moins d'une semaine. Pose ta valise s'est construit initialement au théâtre du Grabuge à Lyon, en lien avec des réseaux associatifs et sociaux, et dont la caractéristique est de changer de texte en fonction de la nature du public en présence. Le choeur, un élément scénique majeur, est choisi parmi des femmes anonymes, et inséré dans un atelier d'écriture et de chant pour créer des concerts spectacles sur le thème de l'exil.