Le méchoui qui rivalise avec les brochettes Ce genre de commerce pullule depuis ces dernières années. Il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. Mais attention, votre santé est souvent en danger! Les restaurants spécialisés en grillade, communément appelés «chaouayine», sont très prisés par une grande partie de la population, surtout en cette période de vacances. La plupart d'entre eux affichent pratiquement complet tous les soirs. Ce qui démontre assurément que les bénéfices doivent être conséquents. Mais pourquoi les Algériens sont-ils accros à ce genre de restauration? «Les prix!», répond la majorité des personnes rencontrées dans différents restaurants de la capitale. Mais en réalité, cette restauration est-elle accessible aux citoyens à revenus moyens? «Une fois par mois, j'essaye, selon mes moyens, de faire plaisir à ma famille. On alterne, une fois les fast-foods et une autre fois, les grillades», confie Hakim un jeune père de famille. «Malgré mon salaire moyen, j'aime profiter de la vie et faire profiter mes enfants. Et avec 2000 dinars, je régale en viande une famille de quatre personnes, ce que je ne pourrais absolument pas faire dans un restaurant classique», ajoute-t-il. «On mange des grillades, une salade de poivrons h'mis, des frites et de la limonade pour 1400 DA. Cela nous revient donc à 700 DA chacun. C'est raisonnable non?», expliquent Samy et Khaled, deux amis. «Nos moyens sont limités, on a donc choisi de nous offrir des grillades une fois par semaine pour préserver notre longue amitié». «Cela ne nous revient pas cher, en plus, cela nous détend et nous permet de nous 'évader du quotidien», disent-ils encore. «Souvent, d'autres amis et amies se joignent à nos grillades- parties». Avant que les travaux du «tram» ne commencent, les abattoirs de la rue des Fusillés au Ruisseau ont été une référence en matière de brochettes. Un lieu de pèlerinage de tous les amateurs de la grillade. On y venait des quatre coins de la capitale pour goûter aux délices des abattoirs du Ruisseau. Il y a eu également le quartier à Cinq Maisons dans la commune d'El Harrach qui s'est spécialisé à son tour dans ce commerce très lucratif. Mais le tram est passé par là. Aussi bien au Ruisseau qu'à Cinq Maisons, les boutiques aux vitrines aguichantes où s'exhibent des brochettes qui donnent l'eau à la bouche font partie du passé. Ces hauts lieux de grillade ont été un des dommages collatéraux du tramway d'Alger. «A croire que les messieurs du ministère des Transports ont suivi la localisation de ces commerçants pour définir le tracé du tramway», regrette amèrement un fidèle client. Les rares commerçants qui ont survécu au tramway, sont pour la plupart propriétaires de leurs locaux. Ils crient encore au scandale: «On nous a tué la profession!», s'insurgent-ils. «On est toujours ouvert, mais la clientèle n'est plus aussi nombreuse», déplore un des rôtisseurs. «Avant que le malheur du tramway ne s'abatte sur nous, on faisait des recettes qui pouvaient atteindre plusieurs millions de centimes par jour!», dévoile-t-il. «Maintenant, c'est à peine si on arrive à atteindre une recette de 10.000 DA», résume-t-il pour monter les pertes énormes que ses collègues et lui subissent. Les dégâts collatéraux du tram Même constat à Cinq Maisons où la plupart des commerçants ont fermé boutique. Désormais, le rendez-vous des fous de grillades a changé d'endroit: il a été délocalisé. D'autres quartiers de la capitale se sont spécialisés dans ce genre de commerce et sont devenus des endroits incontournables. Le plus connu d'entre eux n'est autre que le désormais célébrissime quartier de Draria (banlieue Ouest d'Alger). Les week-ends, été comme hiver, l'accès à Draria est pratiquement impossible. Des heures d'embouteillage où des milliers de voitures défilent jusque tard dans la nuit. Les citoyens s'y rendent généralement en famille pour y déguster leur plat préféré. Du coup, il y a un nouveau venu: le méchoui. «Bof, ce n'est pas aussi bon qu'à l'époque au Ruisseau. Mais on se contente de cela. L'endroit est familial et surtout sécurisé. Et on a la garantie que ce qu'on mange c'est de la vraie viande fraîche», rapporte Amine et sa femme, des habitués de l'endroit. «Où voulez-vous qu'on aille. Il y a aussi Staouéli qui est aussi réputée que Draria mais elle est trop très loin. Je pence que c'est plutôt les gens de Zéralda et les environs qui vont maintenant à Staouéli et ceux du Centre et de la banlieue Ouest à Draria», poursuit-il. «C'est partout pareil, cela varie entre 35 et 60 DA pour la brochette simple. Et 80 à 100 DA pour celle appelée Royale, qui est plus grande et garnie avec des légumes: tomate, poivron. Quant au mechoui, il est partout proposé à 900 DA la part», nous confie Amine en réponse à la question de savoir si c'est à cause des prix que les gens préfèrent Draria. «Qui a dit que les Algériens n'ont pas d'argent?», interroge Karima résidente de Draria. Une brochette qui a du chien...à 10 DA! De mon balcon, «je constate que les restaurants sont pleins à craquer et cela tous les jours, jusqu'à des heures tardives de la nuit», atteste-t-elle regrettant que chaque soir, elle suffoque avec l'odeur et la fumée que dégagent les barbecues. «A cela, il faut ajouter que le bruit des clients, nous empêche de dormir. C'est infernal», témoigne Karima en énumérant les raisons qui lui font dire que les «chouayine» de Draria sont la cause de tous ses malheurs. Toutefois, un autre quartier s'est spécialisé dans les brochettes et vient concurrencer Draria, il s'agit du Lido à Bordj El Kiffan. Ce quartier a pratiquement absorbé tous les clients de la banlieue Est d'Alger, mais pas seulement...«On ne va plus à Draria. Il y a trop de monde et la bouffe est devenue infecte. Ils ont tellement de clients qu'ils optent pour la quantité au détriment de la qualité», affirment Réda et sa bande qui sont venus d'Alger-Centre et de Ben Aknoun. «Maintenant, notre destination favorite est le Lido. On n'est pas les seuls. Regardez ce beau monde qu'il y a autour». Finalement, la concurrence est rude. Le quartier de Jolie-Vue à Kouba casse les prix. On y sert des brochettes à 10 DA. Ce sont les mêmes tarifs qui sont appliqués dans les quartiers environnants de Bachdjarah et Gué de Constantine. Ces quartiers sont donc spécialisés dans «la rôtisserie discount». Ils se sont fait, en quelques années, une réputation de restauration à bas prix. «C'est le seul endroit qui nous permet, nous les pauvres, de manger de la viande», assure un client rencontré sur place. Mais la question qui taraude l'esprit est: comment font ces commerçants pour vendre des brochettes à 10 DA? Se basent-ils sur un commerce de masse, surtout que les loyers ne sont pas aussi chers que les endroits cités précédemment? Est-ce vraiment de la viande bovine ou ovine qu'ils proposent? Sont-ils contrôlés? L'origine de la viande l'est-elle aussi? Certaines mauvaises langues disent que c'est de la viande de chat, de chien, d'âne et de rats qu'on propose dans ces endroits. Pour les besoins de notre enquête on a goûté à cette viande. Ce qui est d'abord frappant est la taille minuscule des brochettes. Ensuite, la viande proposée est de la cuisse de dinde qu'ils font passer pour de la viande rouge. Le foie de poulet et de dinde est servi comme foie d'ovin ou de bovin. Est-ce que cela est généralisé dans toutes les rôtisseries du quartier? Pas si sûr, en tout cas cette pratique est répandue. Pour ce qui est de l'hygiène, elle est acceptable. De toute façon, elle ne diffère guère des autres endroits visités lors de ce reportage. Il reste que les commerçants de Jolie Vue et de ses environs, sont les seuls qui permettent aux petites bourses de consommer des grillades et comme l'assure un commerçant du quartier, jusqu'à présent, aucun problème n'a été signalé. Pour ce qui est de la volaille à la place de la viande rouge, ils se défend: «Personne ne nous pose la question sur la nature de la viande qu'on veut manger et on vous a dit la vérité. Est-il interdit de vendre la cuisse de dinde?», répond-t-il avec assurance. En plus, «il faut être logique du foie de bovin à 10 DA la brochette! Alors que le kilo est à 1800 DA...» précise-t-il. Le métier de «Chouaye» a donc de beaux jours devant lui. Mais en parallèle, rien n'est fait pour améliorer la prestation. Les conditions de préparation sont archaïques, les normes d'hygiène approximatives, et le contrôle inexistant. Les poulets sont par exemple exposés toute la journée à la poussière et au soleil sur des tournebroches placés à l'extérieur. Les barbecues sur lesquels sont cuits ses produits sont rarement nettoyés et pour ceux qui sont à l'abri des regards, cela doit être pire. Le paradoxe est que des jeunes squattent les trottoirs des villes l'été et plus particulièrement pendant le mois de Ramadhan pour vendre des grillades sur le trottoir. Il y a également le nouveau phénomène qui consiste à vendre des cailles, poulets, lapins...vivants et qu'on égorge et grille sur place. Directement du producteur au consommateur. Ce phénomène qui est apparu dans les gorges de Palestro, s'est répandu à travers tout le pays. La route reliant Rouïba à Aïn Taya pullule de ces vendeurs sans qu'ils soient inquiétés. Le gibier proposé n'est soumis à aucun contrôle. Si l'un de ces gibiers est atteint d'une maladie comme la grippe porcine, une épidémie peut se propager à une vitesse inimaginable! Mais que font les autorités? «Le ministère du Commerce envoie des SMS pour nous conseiller de ne pas acheter des produits proposés sur les trottoirs», ironise Saïd en se référant à la dernière trouvaille de M. Benbada qui veut lutter contre ces phénomènes en utilisant les nouvelles technologies. Comment peut-on laisser cette anarchie qui menace fortement la santé publique sans réagir?