L'artiste continue à surfer et à naviguer d'un style à l'autre Il est incontestablement un véritable artiste qui a su apporter des innovations remarquables à la chanson kabyle. Brahim Tayeb se produira demain, à partir de 21h30, à la grande salle de spectacles de la Maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou dans le cadre des soirées de Ramadhan qui s'étaleront jusqu'à la fin du mois en cours. Brahim Tayeb revient, lui qui a pourtant déclaré dans la même salle, il y a un peu moins d'une année, qu'il se retirait définitivement de la scène. C'était une déclaration faite peut-être à la hâte, car ce jour-là, Brahim Tayeb était produit dans une salle presque vide. Pourtant, il ne s'agit nullement d'un artiste novice ou dépourvu de talent ou encore qui n'a pas de public. Brahim Tayeb est incontestablement un véritable artiste qui a su apporter des innovations remarquables à la chanson kabyle et ce, dans la foulée d'autres chanteurs de la même génération que lui, à l'instar de Hacène Ahrès, Si Moh, Zedek Mouloud et autres encore. Brahim Tayeb s'est fait un nom dans le petit ciel de la chanson kabyle grâce à plusieurs chansons. Mais quelques titres sont restés ses locomotives à l'instar de l'inoubliable Ussan ni. C'est, en effet, cette chanson d'amour qui l'a fait sortir de l'ombre. Lorsque Brahim Tayeb édite cette chanson phare de son répertoire, la chanson kabyle était en plein foisonnement. Matoub Lounès était encore vivant. Takfarinas était à l'apogée de sa carrière alors que des dizaines de chanteurs sortaient de l'ombre presque simultanément. C'est dire qu'il n'était pas facile du tout de se distinguer à cette époque. Pourtant, Brahim Tayeb l'a fait. Il a réussi, grâce à une touche de sentimentalisme qui pénétrait les coeurs surtout d'une frange bien précise d'un public fait essentiellement d'étudiants. A l'époque, Brahim Tayeb se produisait souvent dans les campus et les résidences universitaires. Même si l'amour pour lequel il chantait dans Ussani ni et dans d'autres chansons n'est pas forcément celui dont rêve tout le monde. Le chanteur parle plus d'un amour dont il ne reste que des cendres. Il s'agit donc, plus de souvenirs et de réminiscences. Mais qui n'a pas connu une déception d'amour, qui n'a pas rêvé de l'impossible en croyant dur comme le fer que l'on pouvait aimer sans pleurer. Brahim Tayeb confirme le contraire dans ses chansons mélodieuses où la tristesse transparaît dans chaque strophe et dans chaque lettre prononcée. Parce qu'ils se sont reconnus dans ses chansons, les jeunes l'ont adopté pendant des années. Ils ont écouté ses mélodies pour se réconforter après avoir été plaqué par un bien-aimé ou une bien-aimée qui était tout, avant de devenir un lointain souvenir. Mais Brahim Tayeb, l'artiste, dont les goûts musicaux sont loin d'être figés dans un seul genre donné, passe d'un style à l'autre en s'inspirant, aussi bien des plus belles chansons françaises que des plus magnifiques fresques musicales orientales et algériennes. Brahim Tayeb continue à surfer et à naviguer d'un style à l'autre. Il se cherche au fil des années, car ne pas pouvoir innover sur le plan musical signifie stagner et mourir artistiquement. Il a compris ce secret. Il traverse de longues périodes de silence. Mais il ne s'agit pas d'un vrai silence, car il s'investit plutôt dans la recherche musicale. Et au moment où la Kabylie est envahie par la chanson raï, après l'assassinat de Matoub Lounès, Brahim Tayeb crée l'événement auquel personne ne s'attendait. Un événement inédit dans les annales de la chanson kabyle. Il fallait du courage et peut-être même une certaine dose d'excès de confiance pour oser un tel défi. Brahim Tayeb édite un album où, en tout et pour tout, ne figure qu'une seule chanson et un seul air musical. Il s'agit de la chanson Intas. Le succès est immédiat et phénoménal. Aux quatre coins de la Kabylie profonde, on n'écoutait plus que la voix de Brahim Tayeb et ce, pendant de longs mois. Intas est finalement l'oeuvre capitale de cet artiste qui n'a cessé de rêver et de travailler pour atteindre cet objectif. Intas est devenu un hymne que chantaient ses fans en boucle. Une chanson, une seule, mais dont on ne se lasse jamais. Plus on l'écoute, et plus on est séduit par cet océan de tendresse que dégagent les mots de Brahim Tayeb. En plus de la musique, ce dernier a su écrire un seul texte, où est racontée l'Algérie des années 1990. L'artiste aborde tous les sujets dans cette chanson unique, vraiment unique. Il est question d'amour dans une société où l'on se soucie plus du qu'en dira-t-on que de son propre bien-être, de terrorisme et de fratricides, de crise économique, de chômage, de politique, de tamazight devenu un fonds de commerce, de l'arabisation forcenée. Brahim Tayeb a réussi à faire une synthèse des maux de l'Algérie de la tragédie nationale avec sincérité et courage. Intas restera l'une des meilleures chansons d'expression kabyle. Brahim Tayeb l'a composée avec ses tripes. La chanson est tellement belle qu'à sa sortie, on l'a affublé de toutes les rumeurs possibles. Certains l'ont même accusé de plagiat. Les voix malveillantes ont colporté à son sujet qu'il a imité le Marocain Abdelwahab Doukali ou encore l'Egyptien Mohamed Abdelouahab. Ces rumeurs, quand bien même malveillantes, ne font que confirmer que Brahim Tayeb a effectué un bon travail et a offert à la chanson kabyle un cadeau inestimable. Originaire de Larbâa Nath Irathen et vivant à Alger depuis des années avec sa petite famille, Brahim ne s'est pas arrêté en si bon chemin, puisqu'il a poursuivi ses quêtes sensationnelles. Il produit plus tard un autre album lequel, même s'il a eu beaucoup moins d'écho que Intas, reste sur le plan qualitatif, un autre chef-d'oeuvre à verser dans le registre des chansons immortelles. Il s'agit de l'album Lebhar. Cette fois-ci, même s'il est question d'une seule chanson, Brahim Tayeb transporte le mélomane dans une multitude de compositions musicales, aussi différentes les unes que les autres. Un vrai voyage initiatique dans le labyrinthe des sentiments et dans les tréfonds de la malvie. Quand on lui reproche d'être trop influencé par le style oriental, Brahim répond que la musique n'a pas de frontière et qu'elle est universelle. Lorsqu'on lui dit qu'il a commis un impair en critiquant sévèrement Matoub Lounès, il présente des excuses sincères. Et quand on lui demande quelle est sa meilleure chanson, il dit qu'elle reste encore à composer.