La crise se noue, en même temps que la panne du constructivisme politique s'accentue pour le plus grand bonheur du régime. Dans le contexte de crise sociopolitique actuel, se pose de nouveau à travers l'élection présidentielle de 2004 la question de la représentation politique et, partant, celle de la légitimité du Président qui sortira des urnes. Le fait est que les Algériens boudent les urnes et sont de moins en moins enclins à la chose politique. Echaudées par les manoeuvres du régime et les promesses jamais tenues des candidats aux élections, les populations ne croient plus en rien devant l'effacement de la classe politique nationale. Lentes et monotones, les semaines s'égrènent, toujours pareilles, les jeunes Algériens savourent l'ennui à satiété. L'horizon se limite au relief du village, du bourg ou aux immeubles de la houmma, à la foule bigarrée des ikhoua et des chômeurs, au hidjab version 21 mai ou à la mode flirtant avec une nudité timide. L'immobilisme assure paix et tranquillité à ceux qui s'y tiennent. Dans le néant quotidien, la consommation de stupéfiants a gagné en popularité. Faut-il inventer alors de nouvelles règles du jeu ou changer carrément de joueurs? Les dernières législatives et à un degré moindre, la libération des chouyoukh, constituent deux événements qui corroborent la thèse de cette désaffection aussi bien pour les urnes que pour le jeu politique. Rapportés aux inscrits, ce sont un peu moins de 48 % d'Algériens qui ont pris part au scrutin législatif. Autrement dit, c'est plus de la moitié des Algériens en âge de voter qui a boudé les urnes en mai dernier. Pour la première fois depuis l'indépendance, l'Etat a officiellement reconnu une participation minoritaire du corps électoral. Ce serait sous-estimer la profondeur de la crise en se sens que la réalité du corps social n'est plus représentée. C'est la démocratie tout entière qui est atteinte par la limitation du pouvoir politique : le principe même de la représentation. Les corps intermédiaires, notamment les partis, fonctionnent dans un décalage croissant avec la réalité du corps social. En absence de perspectives socio-économiques, les Algériens baignent dans un environnement délétère caractérisé par une guerre intestine au sein du FLN, en prévision de la présidentielle de 2004. Avant cette manche, les deux bords s'étripent par journaux interposés et en sont même venus aux dobermans. Le scandale du groupe Khalifa, la crise de Kabylie, l'apparition de la peste bubonique, la pollution des plages et l'affaire des 17 otages étrangers détenus depuis février dernier au Sahara n'émeuvent plus personne. Cela, sans évoquer le délabrement de l'économie, la généralisation de la pauvreté et la dégradation du patrimoine immobilier avec le séisme du 21 mai. Au point même que la libération des chouyoukh n'a pas suscité une grande ferveur auprès des Algériens. La crise ouverte entre Bouteflika et son ex-Chef du gouvernement a mis de facto en sourdine tous ces dossiers qui en d'autres circonstances auraient fait l'objet de discussions dans les villages les plus reculés d'Algérie. Embourbée dans ses luttes d'appareils et ses liens avec les décideurs, la classe politique est restée impuissante face à ces scandales. L'une des caractéristiques de ces mêmes décideurs est de cacher les conflits qui les traversent en mettant en place une parodie de vie politique. Ils ont néanmoins besoin d'agents faisant fonction de députés car certaines de leurs décisions requièrent le sceau du Parlement pour leur conférer une légitimité de façade. L'Assemblée nationale est le croupion le mieux indiqué. Il y a toujours des candidats à l'hémicycle. Le statut de député est devenu une source d'enrichissement: 105.000 DA, voiture, billets d'avion, et surtout trafic d'influence au passage. La crise se noue, en même temps que la panne du constructivisme politique s'accentue pour le plus grand bonheur du régime. Avec un gâchis pareil, peut-on espérer un quelconque engouement des populations pour les urnes?