Hier, 23 octobre 2100, l'Histoire a accouché en Afrique du Nord. Un Etat est né, la Libye nouvelle. Un autre Etat a organisé les premières élections libres. Désormais, octobre a lavé l'affront que lui fait subir une certaine croyance selon laquelle il est le mois de toutes les catastrophes. Si pour le nouveau-né nommé Libye, le chemin est encore très long, en Tunisie en revanche, c'est en octobre que le jasmin fleurit. La Tunisie possède tous les ingrédients pour devenir le modèle de démocratie dans les pays arabes. Elle a un cap, des modèles d'échecs. On pense évidemment à l'Algérie qui a raté ce tournant de l'Histoire. Elle a fait sa révolution en octobre... 1988, avant de basculer dans une grave spirale de violence islamiste. Interrogé il y a quelques semaines par des journalistes algériens sur les secrets de la réussite de la transition en Pologne, un diplomate de ce pays a eu cette réponse lourde de sens: «Nous, c'est l'Allemagne qui nous a tendu le bras». A partir de cette réponse on comprend le malheur de l'Algérie abandonnée à son sort au début des années 1990 alors qu'elle se débattait seule. Ni la France de Mitterrand, ni l'Amérique de Bill Clinton ne lui avaient tendu la main. Au contraire, elle a été enfoncée. Tel n'est pas le cas de la Tunisie aujourd'hui. Notre voisin de l'Est a un cap et des soutiens. Tout le reste est une question de volonté des Tunisiens qui ont massivement voté hier. Cette démocratie naissante n'a pas d'autre choix que de réussir et au bonheur des Tunisiens car la conjoncture internationale plaide pour cette «cause». Ayant tiré le coup de baroud en Afghanistan et en Irak pour imposer la Démocratie par le canon, les Américains et les Britanniques y ont subi un cuisant échec. L'expérience n'a pas pris. Avec le cas tunisien, on s'est rendu compte qu'il ne s'agit pas d'imposer la démocratie mais de l'assister et de créer les conditions de son épanouissement. Théoriquement, la Tunisie bénéficie de ce contexte. Restent les acteurs qui vont concrétiser la réalisation de cette démocratie. Bien sûr, il appartient aux Tunisiens de le faire et c'est ce qu'ils ont fait hier en se rendant aux urnes. Même si flotte un drôle de parfum islamiste qui risque d'embaumer le jasmin. En effet, pour des raisons conjoncturelles, les islamistes d'Ennahda jouent sur du velours. Avec un discours moralisateur, l'impact est assuré sur une société bâillonnée pendant 23 ans par un régime policier. Ainsi, Ennahda n'a pas à redouter un débat sur la femme, sur les libertés individuelles et sur la démocratie. Il a su adapter sa démarche et son discours aux principes démocratiques, il a même abandonné l'idée de la Oumma pour «coller» à celle de la nation. Ennahda n'est pas le parti qui va accuser la démocratie de «Kofr» comme ce fut le cas des islamistes algériens, il n'est pas le parti qui revendique l'instauration de la charia. Il lorgne la Turquie en se servant des leçons algériennes. Ce n'est pas pour autant que ce parti islamiste se dissoudra dans la démocratie une fois au pouvoir.