La chute de Zine El Abidine Ben Ali a entraîné celle de pas moins de trois autres de ses pairs arabes balayés par les révoltes de leurs peuples Les révoltes historiques dans le monde arabe ont bouleversé la carte politique du Moyen-Orient et augurent de l'émergence d'un bloc islamiste sunnite face à un déclin de l'Iran chiite et de son axe stratégique avec la Syrie. «Le monde arabe ne sera plus jamais comme avant», commentait récemment l'ancien chef de la Ligue arabe Amr Moussa, évoquant un «nouvel ordre régional». Un nouvel ordre où les influences de puissances traditionnelles rivales, comme l'Arabie saoudite et l'Iran, s'effaceraient devant un nouveau front à caractère islamiste emmené par Le Caire et Ankara, estiment les analystes. «On constate la résurgence d'un bloc sunnite comprenant l'Egypte, la Turquie, le Qatar, la Libye et la Tunisie et qui ont tous maintenant une orientation islamiste», affirme Shadi Hamid, expert au Brookings Doha center. «Ils partageront une politique étrangère qui ne sera liée ni à Washington ni à l'«axe de résistance» irano-syrien», poursuit-il. L'Egypte «retrouvera à terme un rôle régional qu'elle n'avait plus ces dernières années», prédit Agnès Levallois, experte du Moyen-Orient basée à Paris, en référence aux 30 ans de pouvoir du pro-américain Hosni Moubarak. «La nouvelle dynamique, ce sont des gouvernements qui, forts de leur légitimité populaire, sont plus actifs», estime M.Hamid. «Le printemps arabe» va réduire les influences externes» dans la région, renchérit Paul Salem, directeur du centre Carnegie pour le Moyen-Orient, citant l'exemple turc. «Avant, Ankara obéissait aux Américains, aujourd'hui, il n'en fait qu'à sa tête». Avec son succès économique, ses positions pro-palestiniennes, son statut de médiateur, la Turquie d'Erdogan a gagné en popularité auprès des Arabes. Mais c'est avec son implication dans les révoltes, notamment en Syrie, que sa politique a pris de l'ampleur. «La Turquie n'est plus une puissance mais une superpuissance régionale», constate M.Hamid. En soutenant les pro-démocratie, elle s'est placée «du bon côté de l'Histoire». De son côté, la Ligue arabe est revigorée, méconnaissable après des années d'apathie: elle a accepté l'offensive de l'Otan en Libye et infligé des sanctions à Damas. Cet interventionnisme n'est pas sans arrière-pensées, selon les analystes. «Il y a une volonté très forte, notamment chez les monarchies sunnites du Golfe, de casser l'axe chiite Iran-Syrie-Hezbollah», explique Mme Levallois. Une rupture qui équivaudrait à un séisme. «Si la Syrie tombe, ce serait un coup fatal pour l'Iran», affirme M.Hamid. «Du point de vue américain, c'est faire d'une pierre trois coups: Damas, Téhéran et le Hezbollah seront tous affaiblis». Pour les analystes, l'influence iranienne est déjà sur le déclin en raison des changements régionaux. «Il y a quelques années, l'Iran et le Hezbollah étaient salués comme les héros (face à Israël). Aujourd'hui, Ahmadinejad est assimilé aux dictateurs déchus», dit M. Salem. «Personne ne parle d'un ''modèle'' iranien. Téhéran apparaît comme une force non démocratique qui a réprimé son propre mouvement de contestation», assure M.Hamid, en référence aux manifestations en 2009 après une présidentielle contestée. Les législatives de mars 2012 pourraient changer également la donne en Iran, si la rue est tentée par un «printemps iranien». De quoi affaiblir le Hezbollah, sans toutefois menacer sa survie. Le Liban restera «une caisse de résonance» des développements régionaux, notamment en Syrie voisine, selon Mme Levallois. Si un Iran en déclin ferait l'affaire d'Israël - son ennemi numéro 1- l'Etat hébreu, qui a dit craindre un «hiver islamiste», n'est pas dans une situation enviable. «Le gouvernement israélien est très paranoïaque actuellement», indique M.Hamid. Israël a peur d'un environnement islamiste hostile et «se replie sur soi», estime l'expert, ce qui affectera inévitablement un processus de paix israélo-palestinien déjà moribond. «Ils se sont raidis encore plus sur le dossier palestinien, notamment avec la campagne contre un Etat» de Palestine, selon Mme Levallois. Autre pays qui paraît en retrait, le royaume saoudien, bousculé par les révoltes. Selon M.Hamid, «Riyadh préfère le statu quo et cela va l'affaiblir à terme». «Il use d'anciens paradigmes dans une région qui change rapidement».