«La guerre des mots entre l'Irak et la Turquie est très largement liée à ce qui se passe en Syrie», juge Paul Salem, directeur pour le Moyen-Orient du Centre Carnegie basé à Beyrouth. La crise en Syrie et les rivalités régionales entre l'Iran et la Turquie expliquent la récente dégradation des relations entre Baghdad et Ankara, estiment les analystes qui ne croient toutefois pas que cet antagonisme aboutira à une confrontation entre les deux voisins. «La guerre des mots entre l'Irak et la Turquie est très largement liée à ce qui se passe en Syrie», juge Paul Salem, directeur pour le Moyen-Orient du Centre Carnegie basé à Beyrouth. «La Turquie avait opté pour la politique de +zéro problème+ (avec ses voisins) avant le Printemps arabe, mais quand elle a été obligée de choisir entre le peuple et le régime en Syrie, elle s'est trouvée confrontée aux alliés du régime syrien, dont le gouvernement du (Premier ministre irakien Nouri) al-Maliki et l'Iran, c'est ce qui explique la récente escalade verbale», a précisé ce chercheur. Ankara a appelé au départ du président syrien Bachar Al Assad, rompu quasiment ses relations officielles avec le régime et a accueilli sur son territoire l'opposition à Damas et les déserteurs regroupés dans l'Armée libre syrienne (ASL). «L'Iran essaie de faire pression sur (le Premier ministre turc Recep Tayyip) Erdogan, surtout par le biais de l'Irak, pour qu'il réduise son appui (à la révolution) en Syrie mais je ne crois pas que cela va s'envenimer car les deux pays ont beaucoup d'intérêts en commun», relève-t-il. La Turquie veut doubler en 2012 ses échanges commerciaux avec l'Irak (12 milliards de dollars en 2011), a dit récemment son ministre de l'Economie Zafer Caglayan. Comme l'Iran, l'Irak est gouverné par les chiites alors que la Turquie est largement sunnite. La Syrie est dirigée par la minorité alaouite, une branche du chiisme. L'acrimonie entre Baghdad et Ankara date de l'émission à la mi-décembre d'un mandat d'arrêt pour complot à l'encontre du vice-président sunnite Tarek al-Hachémi, réfugié depuis au Kurdistan irakien. M.Erdogan a sonné la charge mardi contre Maliki: «Si vous entamez un processus d'affrontement en Irak sous la forme d'un conflit confessionnel, il n'est pas possible que nous restions silencieux», a-t-il dit. M.Maliki a qualifié ces propos de «provocation». Pour Mahjoob Zweiri, professeur d'histoire contemporaine et de politique du Moyen Orient à l'université du Qatar, deux raisons sous-tendent la tension actuelle. «La Turquie est persuadée que la politique menée par Maliki retarde la stabilisation du pays en marginalisant une partie de la société, les sunnites. En outre, en soutenant le régime syrien, l'Irak se retrouve confronté à la Turquie», estime-t-il. Pour M.Zweiri, «il est difficile de parler du rôle de l'Iran sans se pencher sur son identité religieuse, car sa politique est liée à la religion, c'est un cocktail des deux». «En critiquant Bahreïn et en soutenant les gouvernements syrien et de Maliki, la politique étrangère de Téhéran est perçue par les autres comme dictée par des considérations confessionnelles mais en réalité la réelle motivation de l'Iran est de jouer un vrai rôle au Moyen-Orient», a-t-il souligné. La crise actuelle, selon le spécialiste du Moyen-Orient, Joseph Bahout, professeur à «Sciences Po» est une «lutte pour le contrôle de l'Irak entre l'Iran et la Turquie, car l'ancien condominium turco-irano-syrien a volé en éclats étant donné que la Syrie est dans la situation que l'on connaît et que le départ des Américains a laissé un vide que les deux puissances régionales essaient de remplir». «Mais à terme, on se dirige vers une grande tranchée sunnito-chiite qui ira de l'Irak au Liban en passant par la Syrie. Les trois pays vont devenir une ligne de front qui verra la confrontation entre les deux grandes forces communautaires de la région et dans ce contexte la Turquie est obligée de ce positionner», assure-t-il.