L'institution ne souhaite pas intervenir dans un débat qui s'imprime déjà au fer rouge. La brusque dégradation de la situation politique en Algérie a mis en ébullition l'institution militaire, qui continue à lorgner de loin, avec un désappointement évident, le bras de fer engagé entre le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, et son ancien dauphin, Ali Benflis. La radicalisation des positions des pro-Benflis a été à ce point surprenante et inattendue pour expliquer la réponse tout aussi violente de l'administration, de la justice et du ministère de l'Intérieur, qui ont fait appel à l'«artillerie lourde» pour briser l'élan des benflisiens. Cet acharnement politique de part et d'autre dévoile brusquement à l'opinion publique, nationale et internationale, que les équilibres politiques en Algérie restent des plus précaires, entraînant, de fait, une économie instable vers des positions de plus en plus rebutantes pour l'investissement étranger. Ce qu'il y a à craindre aussi, c'est surtout de voir les choses dégénérer en combats de rue entre pro-Bouteflika et pro-Benflis pour le contrôle du FLN, c'est-à-dire l'appareil politique qui a le vent en poupe depuis plusieurs années. Un début de cette peur a déjà été vécu lors des affrontements qu'a connus la Safex, aux Pins Maritimes, il y a plusieurs semaines. Aujourd'hui, les tensions se sont exacerbées pour atteindre un paroxysme jamais atteint. D'un côté, nous avons un président de la République et tous les moyens de l'Etat mis à sa disposition, qui n'arrive pas à concevoir que son ex-dauphin puisse un jour le mettre en péril, et décide de faire table rase de tout ce qui peut lui constituer une menace sérieuse pour un second mandat. D'un autre, nous avons en face un Benflis qui, sans être un homme d'Etat de l'envergure de Bouteflika, s'est entouré d'une très large sympathie, due, justement, à son rôle d'ex-chef du gouvernement calomnié, démis et qui, en tenant tête à la pression des autorités, fait désormais figure de «résistant politique». L'institution militaire, si les choses vont de mal en pis, aura certainement le mauvais rôle à jouer. Celui, encore une fois, de venir réprimer, ou au meilleur cas, jouer l'arbitre, et passer, de ce fait, pour «un corps de sécurité hégémonique, expansif, hyper-politisé et qui fait encore de la présidence un simple appendice aux généraux de l'armée». Trop de qualificatifs, évidemment, et à éviter absolument pour le général de corps d'armée, Mohamed Lamari, qui a fait, en l'espace de deux ans, presque deux fois le tour du monde pour, justement, «humaniser» son institution, mise en quarantaine, pendant de longues années, par les Etats occidentaux. Aujourd'hui, l'armée regarde la faillite des hommes politiques avec un certain désappointement, car elle risque de se retrouver face à une «situation de pré-dissolution» d'un parti politique majoritaire, le FLN, comme elle l'avait été en fin 1991, face au rouleau-compresseur FIS-dissous. Dans son dernier entretien, accordé au quotidien égyptien Al-Ahram, le général de corps d'armée Mohamed Lamari s'attardait sur le fait de «respecter le choix du peuple» fût-il islamiste. «Je ne pense pas que l'élection d'un président de la République de la mouvance islamiste constitue un problème en soi. S'il se porte garant de la Constitution et de la république, il ne représentera aucun problème.» Voilà donc, le grand problème: le respect de la Constitution et des lois de la République. Dans la situation actuelle, «la colonne vertébrale de l'Etat algérien», comme se plait à l'encenser le Président Bouteflika, est plutôt dans une position inconfortable face aux risques de dérapages et de blocages des institutions de l'Etat.