Pour l'institution militaire, il ne saurait être question de cautionner une quelconque «dérive politique». Harcelée de toutes parts, interpellée par tous les acteurs et les partis politiques, l'institution militaire se retrouve encore une nouvelle fois, au centre des débats sur l'élection présidentielle du 8 avril 2004. Au moins, deux candidats se sont retirés - Benyellès et Hamrouche - faute d'avoir pu trouver un crédit auprès de l'armée, et si Ghozali, l'ancien Chef du gouvernement à «l'époque FIS» persiste encore à croiser le fer avec Bouteflika, c'est qu'il pense que les amitiés qu'il y a tissées de longue date - notamment avec les généraux proches des thèses de Khaled Nezzar - peuvent lui être de quelque secours. Une source proche de l'état-major nous a indiqué hier, qu'une «cellule de suivi» existe au niveau de l'institution militaire, mais que «cette cellule n'a ni le pouvoir de décider, ni celui d'influer sur le cours des choses, dans le sens d'orienter le vote du personnel militaire de l'active, mais uniquement le rôle d'observer et de rapporter toutes les entorses qui pourraient être établies lors du scrutin.» Cette façon de démontrer sa neutralité n'exclut par le fait - évident aujourd'hui - que l'armée algérienne n'agit plus en bloc monolithique et qu'elle ne se met plus en rangs serrés derrière le personnage du chef de l'Etat. Depuis l'installation de cellules d'information, au niveau des régions militaires et la décentralisation de l'information, l'armée algérienne est traversée de courants divers et ne fait plus sienne la stratégie ancienne du «tous pour un». En plus du fait qu'elle avait été interpellée par l'ensemble de la classe politique, apeurée de voir tous les moyens mis à contribution pour appuyer la candidature du président de la République pour un second mandat de cinq années - jusqu'en 2009. L'institution militaire est tenue aujourd'hui par ces mêmes partis pour «responsable d'avoir, en 1999, fait venir et appuyé à fond Abdelaziz Bouteflika», lequel fait face, actuellement, à une forte contestation politique appuyée par la presse privée et des «cercles décideurs», qui, comme de coutume en Algérie, préfèrent agir «de loin et dans l'ombre». Il est certain que l'armée a été trop présente dans le choix politique depuis 1962 pour s'effacer aujourd'hui, et d'un seul coup, des grands enjeux électoraux, qui, de surcroît, engagent l'Algérie pour plusieurs années encore. En l'absence d'une classe politique influente et d'une société civile pesante, c'est vers l'armée que se tournent les regards pour demander que l'élection soit empreinte d'une certaine crédibilité et entourée d'un minimum de légitimité. Dans un récent éditorial publié par la revue mensuelle militaire El Djeïch, et qui a été interprété comme un «ordre du jour» adressé à l'ensemble du personnel militaire, le chef d'état-major, Mohamed Lamari, a clairement affirmé que l'armée «se retire du champ politique», mais que cela ne signifie pas qu'elle va laisser «libre cours à tous les événements qui peuvent surgir». Le premier décryptage de ce message codé veut que l'armée ne tolérerait pas que soit piétiné à la face du peuple le minimum de crédibilité d'un vote d'une telle importance. De son côté, prenant à court tout le monde, le président de la République a demandé officiellement à Kofi Annan d'envoyer une mission d'observateurs qui s'assureront de la bonne tenue du scrutin. En fait, de l'ambiguïté en perspective dans ce qui ressemble à un langage codifié des stratégies de puissance. Bien évidemment, à décrypter avec patience et modération...