Les institutions du pays ont encore essuyé ce week-end un mauvais coup qui les fragilise davantage si cela se pouvait. Un degré supplémentaire dans la déliquescence de l'Etat a été franchi mercredi dernier par la manipulation d'une justice devenue, à visage découvert, un simple instrument de coercition au service d'ambitions politiciennes. Les dérives de ce week-end sont très graves et dépassent, sans aucun doute, les simples appétits d'hommes pour le pouvoir. La question ne concerne plus en réalité le devenir politique de MM.Boutefika et Benflis, ou le duel entre les deux acteurs de la crise qui secoue le pays, -depuis le renvoi sans ménagement, en mai dernier, du chef du gouvernement par le chef de l'Etat-, mais bien celui des institutions de l'Etat mises sévèrement à mal ces derniers jours. La grotesque mascarade par laquelle une juridiction, -qui s'est réunie en dehors des heures de travail et dans la quasi-clandestinité-, a interdit au parti FLN de tenir son congrès extraordinaire sur le territoire national, y compris dans son siège à Hydra, a fait tomber les masques. Elle a, de fait, induit une dérive dangereuse des institutions de l'Etat, otages de personnes décidées à conserver le pouvoir par tous les moyens, y compris celui de mettre en équation la stabilité du pays. La célérité de la justice dans cette affaire, la manière paralégale par laquelle elle fut instrumentalisée, outre de mettre mal à l'aise le plus profane des citoyens en la matière, fait sonner le tocsin du danger pour le pluralisme en Algérie, de même que pour le processus de démocratisation engagé en 1989. Certes, on savait à quoi s'en tenir en matière d'indépendance de la justice, mais le coup de force de mercredi remet en cause tous les discours sur l'Etat de droit. La gravité des évènements, induits par la manipulation de la justice, est illustrée par la réaction choquée du premier concerné, le président de la cour d'Alger, Mohamed Zitouni, qui déclare avoir «appris la nouvelle comme tous les citoyens par le journal télévisé de jeudi. J'ai été étonné (...)». C'est le moins qui pouvait être dit, d'autant, ajoute-t-il, que «personne, ni aucune autorité ne m'a informé de cette décision». Relevant que les procédures légales ont été «clairement violées» M.Zitouni indique, «Je suis le premier responsable de cette juridiction et je n'ai désigné aucun magistrat pour prendre une telle décision. Nous sommes devant une situation où les procédures légales et les normales ont été clairement violées.» C'est le chef de la cour d'Alger qui s'exprime ainsi ; dès lors, la question qui se pose est de savoir qui a pris sur lui de se substituer à l'autorité judiciaire légale, la cour d'Alger, et de désigner les magistrats qui ont gelé les activités du FLN dans des conditions qui demeurent obscures? C'est en cela que les événements de ce week-end, qui induisent un dérapage grave dans les institutions de l'Etat, ouvrent une crise des institutions sans précédent. C'est tout l'édifice républicain sur lequel reposent les fondements de l'Etat qui a été ainsi ébranlé avec le risque de déboucher sur l'inconnu. Après la démonstration d'autoritarisme de ce mercredi, de quel crédit peuvent encore être validées les notions d'Etat de droit, de démocratie, des libertés collectives et individuelles et de bonne gouvernance? Notions brandies dans les forums internationaux comme autant de cartes de visite par l'actuel locataire d'El-Mouradia. Mais l'interdiction du congrès extraordinaire du FLN, le gel de ses activités, -jusqu'à ce que la justice statue sur la plainte du «mouvement de redressement»-, outre d'avoir fait tomber les masques, aura surtout ouvert une grave crise institutionnelle, dans une Algérie qui n'en avait nullement besoin, et mis à nu la fragilité des institutions de l'Etat à la merci d'humeurs et d'ambitions politiciennes.