Il draine souffrances et frustrations, se prête à toutes les manipulations: le dossier des victimes de la révolution tunisienne reste explosif pour les autorités, alors que la Tunisie célèbre lundi sa «journée des martyrs ». Exaspérés par la lenteur des traitements administratif et judiciaire de leurs dossiers, les blessés et familles des victimes donnent de la voix. Certaines associations ont appelé à manifester lundi, «jour des martyrs » qui commémore les victimes de la répression d'une manifestation par les troupes françaises le 9 avril 1938 à Tunis. La semaine dernière, un sit-in organisé devant le ministère des Droits de l'Homme a dégénéré en violents heurts avec les forces de l'ordre. «Voici comment on traite les héros de la révolution », crient les familles qui s'estiment trahies et ne voient pas venir les aides et indemnisations promises. «C'est un sujet miné. Le dossier est instrumentalisé et manipulé », répond le ministère des Droits de l'Homme, qui pointe la participation de partis politiques aux manifestations, et dénonce aussi l'irruption de «faux blessés » dans un écheveau encore inextricable de victimes. Combien sont-ils? qui peut prétendre au statut de «martyr » ou de blessé de la révolution? La question est cruciale. Selon un décompte de l'ONU, 300 Tunisiens ont été tués et 700 blessés durant le soulèvement populaire commencé le 17 décembre 2010. Mais à quelle date doit s'arrêter le décompte? Un décret loi du 24 octobre 2011 portant sur l'indemnisation des blessés et martyrs fixe une période allant jusqu'au 19 février 2011, soit un peu plus d'un mois après la fuite de Ben Ali. « Nous avons reçu des dossiers qui ont trait à des événements bien après cette date », souligne Taoufik Bouderbala, le président de la Commission d'enquête sur les exactions commises à partir du déclenchement de la révolution, créée en février 2011. Le rapport final de la «commission Bouderbala » doit être remis dans les prochains jours au président de la République. Très attendu, il fournira la première liste officielle des blessés et martyrs. « Nous avons reçu près de 3.000 dossiers: 2.200 ont trait aux blessés, moins de 300 aux décédés, le reste concerne des dégâts matériels », résume M. Bouderbala