Le chef de l'Etat a agi en direction de la presse indépendante à travers des mesures coercitives. Mis sérieusement en difficulté par la presse privée, le chef de l'Etat est donc sorti hier de sa réserve dans une tentative de baliser le concept de liberté d'expression ainsi que le devoir de la presse qui, selon lui, doit «contribuer au côté de l'Etat à enraciner la culture démocratique et à préserver les intérêts du pays, d'abord et avant tout». Tout le problème est justement dans le concept de «contribution». En effet, comment peut-on évoquer ce terme et lui donner un sens noble si du côté du pouvoir, lui-même, les journaux nés des événements d'octobre ont subi des attaques sans précédent à ce niveau de responsabilité? C'est bien Bouteflika qui a utilisé le qualificatif de Tayabate El-Hamam en parlant des journalistes algériens. C'est encore lui qui, dès l'entame de son mandat présidentiel, a affiché un grand mépris à l'adresse de cette même presse qu'il n'a pas cessé de fustiger. Il s'est même permis d'évoquer l'expression «terroriste de la plume» pour qualifier ceux, parmi les confrères, qui tentaient d'apporter un avis contradictoire à loi sur la concorde civile. Aussi, en parlant de contribution, le chef de l'Etat semble occulter le fait que celle-ci suppose un respect mutuel entre deux parties, ce qui n'a, manifestement, jamais été le cas du côté de Bouteflika. Ce dernier, faut-il le rappeler, n'a à aucun moment, en plus de quatre ans de présence à la tête de la République, accordé un entretien à un journal algérien, hormis une interview vraisemblablement réalisée par faxs interposés, à l'occasion du quatrième anniversaire de son accession au pouvoir. Plus encore, l'une des erreurs commises par le chef de l'Etat que l'on peut qualifier de stratégique, c'est justement son acharnement contre la presse privée algérienne à partir de capitales occidentales. Il ne rate, pour ainsi dire, aucune occasion pour tirer à boulets rouges sur les journalistes algériens en prenant le soin de réduire à sa plus simple expression l'acquis démocratique qu'est la liberté de la presse. Ce qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait fait avant lui. Bien au contraire, les rapports de Boudiaf, Zeroual et Chadli avec la presse étaient empreints d'une considération réciproque. Les trois personnalités ont très souvent organisé des conférences de presse en Algérie et répondu à des questions de journalistes algériens qui ne faisaient, en fait, que transmettre les préoccupations de l'opinion publique nationale. Bouteflika n'a rien fait de tel. Pis encore, il se résout, disons-le, avec un certain plaisir à jouer aux jeux des questions-réponses avec des confrères étrangers et évoque, par fois sans retenue, des sujets qui relèvent de «l'intimité nationale». A ce propos, il y a lieu de rappeler l'entretien qu'il a accordé à notre confrère français Jean-Pierre Elkabbach, en lui promettant l'exclusivité de l'éventuelle annonce de sa candidature à sa propre succession. A contrario, le chef de l'Etat a agi en direction de la presse indépendante à travers des mesures coercitives en prenant le détour commercial. La suspension de six titres en témoigne ; l'objectif étant d'amener les journaux «trop libres» à plus de retenue. Avant cela, le chef de l'Etat, par l'entremise de la réforme de la justice, a introduit de nouvelles dispositions dans le code pénal, condamnant le délit de diffamation à une peine d'emprisonnement. Or, le problème de la presse, si problème il y a, est à régler avec une bonne communication. Le président de la République, premier garant des «intérêts du pays», est tout autant interpellé que la presse qu'il dénonce. Il est important que le chef de l'Etat accepte la critique et reconsidère la position de la presse dans le paysage socio-politique national. Il ne s'agit pas de s'en prendre systématiquement à ceux qui mettent le doigt sur les échecs de la démarche présidentielle.