A mesure que la population s'appauvrit (83%), de plus en plus d'hommes, de femmes et d'enfants franchissent la frontière qui les séparait jusque-là de la «mort» sociale, pour rejoindre les contingents de tous ceux dont la survie dépend, désormais, de la prostitution, de la mendicité, du vol et d'une zakat hypothétique. Depuis quelques mois, une nouvelle «trouvaille» illustre tristement la misère sociale : ce sont les «fouilleurs d'ordures». La misère la plus tenace d'un côté, une représentativité locale moribonde de l'autre, ont fini par renvoyer l'image d'une poudrière pouvant exploser à n'importe quel moment. Le regard de Ladjal, 13 ans, semble aveuglé par une indicible rancune. Il n'a pas mangé depuis deux jours. «Une fouille patiente, raconte-t-il, des morceaux de détritus putrides qui envahissent la décharge publique n'ayant rien donné», il a dû se contenter des épluchures de pommes de terre ramassées chez un gargotier. Une multitude de femmes et d'enfants connaissent le même destin à travers d'autres quartiers. Face à la rue des «Mozabites», femmes et enfants tirent leur subsistance d'un dépôt d'ordures jouxtant le marché des fruits et légumes. Djazia ne sait pas ce que c'est que d'avoir un foyer. Elle et ses quatre enfants ne sont en vie que grâce à «l'aumône du vendredi et aux restes qu'elle glane dans les poubelles du marché et des restaurants». Sa fille âgée de 10 ans environ, passe de boutique en boutique, de café en café. Elle possède un art consommé de la mendicité et du ramassage discret. Pourtant, l'obole qu'elle parvient à recueillir chaque jour ne suffit pas à les nourrir. Pour cet octogénaire laissé en rade par sa progéniture, la mendicité n'est qu'une suite d'humiliations: «On nous insulte, on nous crache dessus, on rit de nous.» A Ksar El-Boukhari, à mesure qu'augmentent le chômage et l'explosion de bidonvilles, la décrépitude sociale s'accentue dangereusement. Privées de tout soutien familial, de nourriture et d'habillement pour les enfants, des familles entières errent dans les rues de la ville. Certaines femmes, témoigne-t-on, vont à Aïn-Oussera, Ksar Chellala et Djelfa pour exercer le plus vieux métier du monde. Cette «activité» hypocritement décriée, permet aux femmes qui la pratiquent d'entretenir leur famille. Un grand paradoxe pour une ville qui renferme un immense réservoir d'intellectuels, d'artistes, de cadres supérieurs qui s'estiment laminés par les cartels tribaux...