La police judiciaire s'accroche aux crampons du dealer de Bordj El Kiffan. Meriem Derrar est une présidente de chambre chevronnée, rompue à tous les coups tordus et même les coups droits et adroits. Elle a tellement roulé sa frêle carcasse derrière le pupitre qu'elle sent et ressent le chaud, le froid et le tiède en matière de déclarations. Dans cette affaire de vol avec violence, elle avait en face d'elle un très beau détenu qui vient de quitter le monde de l'adolescence, avec en prime, un casier aussi vierge qu'une feuille blanche! Un primaire, en somme... Et ce détenu était debout face au trio de magistrats prêts à tout écouter sans tout avaler. Connaissant les moindres tics, faits, gestes et réflexions de cette formidable Derrar, nous avions compris d'emblée que le procès-verbal de la police judiciaire était ce dimanche, la... «Bible». Cette magistrate sait très bien assimiler les termes des flics. Elle en connaît un bon bout, elle, la juge du siège qui vit avec la police à tout instant: sur la route, les policiers qui régulent la circulation, à la cour où l'impeccable vigilance lui donne de l'assurance, les procès-verbaux, lorsqu'ils sont très bien rédigés. Alors ce ne sont pas certains avocats qui peuvent la détourner de sa mission noble, celle de rendre justice avec compétence et courage, sans haine ni appréhension. Il est vrai que parfois, la police judiciaire marche sur une peau de banane, mais pas toujours. Donc si le trio de magistrats fait bien son boulot, les procès-verbaux eux, ne constituent en vérité qu'une pièce manipulée à titre indicatif, sachant que la correctionnelle se base sur les preuves et les témoins. Or, dans ce dossier, selon Maître Ziane, Maître Nadia Rouibet et Maître Fodil, les preuves n'existent point et les témoins ne sont que deux inculpés. La loi est claire. Aucun inculpé ne peut charger un autre. Et tout témoignage recueilli dans ce sens, est nul et non avenu. Pourtant, à suivre les questions de Derrar, il n'y a aucun doute sur la culpabilité de Farouk M., les deux autres ayant craché le morceau sans aucune résistance. Il fallait voir le dos des trois gus se tordre de douleur, de trouille et surtout la crainte de suivre les tueuses demandes du procureur général. Maître Naïma Ziane, l'avocate de Farouk H. est assurément révoltée par ce qui arrive à son client, un fellah de Bordj El Kiffan condamné par le tribunal de Sidi M'hamed à une peine d'emprisonnement ferme de six ans pour trafic de came, fait prévu et puni par l'article 47 de la loi n°04-18 du 25 décembre 2004 relative à la prévention et à la répression de l'usage et du trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes. Il est vrai qu'en matière de drogue, ce véritable poison qui fait courir les éléments de tous les services de sécurité dans tous les sens, les magistrats du siège prennent pour argent comptant les conclusions de la police judiciaire car très bien formés pour traquer les dealers qui s'échappent souvent entre les mailles. L'avocate a crié haut et fort son amertume devant tant d'injustice: «Oui, il est innocent. Son père possède dix ha sur le bord de route aux environs de la capitale et donc à l'abri du besoin. La police judiciaire à laquelle son client s'est rendu de son propre chef, a tout fouillé chez lui. Elle n'a même pas trouvé un mégot de seiche! Il n'a ni usé ni détenu, encore moins revendu de la drogue. Il a été condamné sur de simples déclarations. La relaxe est le seul verdict dans une affaire dans laquelle Farouk s'y est trouvé K. O. et en prison. Lui succédant, Maître Nadia Rouibet va axer sa brève plaidoirie sur les recherches de drogue infructueuses dans le domicile de Farouk H. «C'est impensable pour ce qui est de la perquisition. Sens dessus-dessous, avec en sus zéro découverte de quoi que ce soit.». a-t-elle martelé. Maître Djamel Fodil prend la précaution pour le même client de ne pas faire dans la réalité. Il s'appliquera à déplorer l'instruction de la police venue avec des chiens renifleurs de came. «Son père, un ancien moudjahid invalide de guerre ne joue pas avec le feu. Il a sa ferme et ses enfants. Avec ce triste dossier né de simples déclarations, la terre abandonnée par le fils incarcéré depuis trois mois se meurt. Même les abricotiers n'ont rien donné en ce mois de juin 2012! a dit l'avocat des Bananiers qui s'est dit plus outré par les demandes du parquet - confirmation du jugement - et dérôlé, qu'en 2012 les erreurs judiciaires sont encore debout, «surtout que dans cette affaire, je vais m'appuyer sur certains termes de la police judiciaire qui n'évoquent pas les preuves autour des poursuites. Par contre, je flétris les déclarations d'un inculpé sur un autre inculpé». Priant la présidente de patienter encore un peu, l'avocat des Bananiers (Alger) revient sur les signes distinctifs donnés en vue de confondre le dealer, il dit sans ton d'amertume, ni rancune: «On a parlé d'un chauve. Farouk n'a rien d'un chauve. On a dit qu'il était de grande taille. Comparez avec celui qui est en face de vous. Pire. La police a cherché une piste sur le portable, mais aucun listing n'a jamais été demandé à l'opérateur où est abonné le prévenu. La liste est longue pour que vous ayez une nette idée de ce que n'a pas fait Farouk H. qui reste envers et contre tous innocent», avait martelé le défenseur qui s'est fait un plaisir d'exhiber sous le regard des trois juges assis, Oumenouche-Derrar Mériem et Boukhersi Youcef, les photos de l'état de la ferme. Et les photos montrent un regrettable état de désolation. Une ferme se meurt aux portes de la capitale. Et on ose évoquer la profusion de fruits et légumes dans Alger! L'affaire est mise en examen sous huitaine.