Au parlement, c'est le mouvement radical El Islah de Hassène Abdallah Djaballah qui mène la danse. Mais pas seulement. Au sein de la société aussi, il marque des buts en or. Dans le système éducatif, à titre d'exemple, où un syndicat non agréé, dans lequel il compte de nombreux militants et sympathisants paralyse les lycées depuis plus de deux mois, c'est le mouvement de Djaballah qui établit la liste des revendications et s'en sert comme d'un levier puissant pour torpiller le début d'entrée en vigueur de la réforme. Décodage: les scissions étalées au grand jour au sein du parti majoritaire à l'assemblée nationale, à savoir le FLN, profitent en premier lieu aux islamistes, qui eux n'hésitent pas à se serrer les coudes. C'est ce qui vient de se passer à l'occasion du vote de la loi de finances 2004 qui a montré une cohésion sans faille entre les élus du MSP et d'El-Islah, le premier s'étant engouffré dans la brèche ouverte par le second. Alors que le FLN est affaibli et que le RND reste dans l'expectative en attendant son heure, comme à l'accoutumée, El Islah, lui, fait montre d'un dynamisme et d'un sens de l'opportunité remarquables, ne ratant pas une occasion pour grignoter des points et les possibilités que lui offrent la constitution et le règlement intérieur de l'Assemblée populaire nationale, notamment dans le domaine des propositions de projets de loi ou dans celui de l'interpellation du gouvernement. Donc les activités parlementaires d'El Islah n'ont rien d'illégales, loin s'en faut, et c'est là qu'elles font mal. Très mal même aux poussées démocratiques enregistrées par le système politique algérien, malgré ses tares, bien entendu. El Islah a le beau rôle. Celui de l'opposant. Et dans ce costume taillé sur mesure, il se contente de mettre en garde contre l'atteinte aux valeurs et aux constantes de la nation, comme la révision du code de la famille ou la consommation d'alcool. Sûr de lui et sans sourciller, il a commencé par proposer qu'on limite ou qu'on interdise les urnes spéciales ou itinérantes, ainsi que les votes dans les casernes et les lieux de travail pour les corps constitués. Le plus remarquable dans ce travail en profondeur et en coulisse fait par El-Islah, est qu'il arrive à fédérer autour de ses prises de position les partis d'obédience islamiste comme le MSP, mais aussi d'autres partis d'opposition parlementaire comme le PT, voire certains députés FLN ou RND en rupture de ban sur des questions économiques ou de société. En fait, on a l'impression que ce qui intéresse en premier lieu le mouvement présidé par Abdallah Djaballah, c'est moins de mener un débat sur un projet de société dans la clarté, que de se bâtir des citadelles imprenables à partir desquelles il est prêt à lancer ses propres assauts. Ces citadelles sont maintenant identifiées : ce sont les écoles, les mosquées, les assemblées élues, et tous les lieux publics et para-publics transformés en autant de bastions et de fiefs islamistes. En d'autres termes, Djaballah est en train de réussir là où Belhadj avait échoué. Sans se déjuger, le MSP suit le rythme et la cadence. Comme s'il y avait un partage des rôles entre les deux frères islamistes ennemis. Car au moment même où le successeur de Cheikh Nahnah bat la campagne en fustigeant l'idée de réviser la Constitution, Djaballah lance ses diatribes contre la réforme de l'école, curieusement soutenu en la matière par les partisans d'Ali Ben Mohamed. La partition entre les ténors du projet islamiste est réglée comme du papier à musique. Dans l'affaire du vote par 108 députés de l'interdiction d'importer les boissons alcoolisées, l'attention a été focalisée sur la levée de l'interdiction d'importer des véhicules de moins de trois ans, et à la dernière minute, l'estocade a été portée sur une autre cible. Cela veut dire quoi? Sinon que les députés islamistes ont l'art de faire monter la mayonnaise et de préparer leur coup en douceur. Pendant que les uns parlent d'un sujet, les autres préparent en sous-main l'adoption d'un article-bis qui surprend tout le monde, comme si les partisans de Djillali Mehri étaient plus forts que ceux de Peugeot et de Toyota. Ce super-activisme d'El Islah autour d'une pseudo-moralisation de la société est un tonnerre dans un ciel serein. L'éparpillement des voix du FLN, la démobilisation de ses élus et leur absence des travées de l'hémicycle sont une aubaine pour les islamistes menés par le chef d'orchestre le MRN. Cela est vrai pour maintenant. Cela le sera encore plus pour la campagne électorale pour la présidentielle.