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Vers une relecture de l'histoire de France contemporain
FRANÇOIS HOLLANDE ASSUME
Publié dans L'Expression le 28 - 07 - 2012

Hollande peut de nouveau constater que l'histoire demeure, comme on le dit souvent, une «passion française»
«Français et Algériens partagent une même responsabilité, celle de se dire la vérité. Ils le doivent à leurs aînés mais aussi à leur jeunesse. [...] La France considère qu'il y a place désormais pour un regard lucide et responsable de son passé colonial si douloureux et en même temps un élan confiant vers l'avenir.» Lettre de François Hollande à Abdelaziz Bouteflika
Un événement a secoué la classe politique française; il s'agit de la commémoration de la Rafle du Vél d'Hiv. Pour rappel, la rafle a été préparée de longue date. Depuis la Conférence de Wannsee, en janvier 1942, Eichmann organise les convois de déportation dans toute l'Europe. Il sollicite les représentants nazis dans les territoires occupés pour exécuter des rafles et organiser des convois vers Auschwitz. En France, c'est le chef du service juif du SD en France occupée de fin 1940 à juillet 1942, qui est chargé d'organiser la rafle. Il est sous les ordres du général Oberg, chef des SS et de la police allemande en France. Pour cela, il négocie avec la police française qui accepte de collaborer et d'organiser seule la rafle! Les policiers Jean Leguay et René Bousquet négocient avec Dannecker. Ils mettront la police française à la disposition des Allemands pour faire la rafle.
En Algérie, le sort des juifs ne fut pas meilleur. La première chose qu'a faite le pouvoir colonial en Algérie c'est de rapporter le décret Crémieux, Hannah Arendt soutient, dans Les Origines du totalitarisme (1951), que le préalable à l'extermination des juifs est la dépossession de leur statut de citoyen, les réduisant ainsi à la «vie nue» d'un être humain dénué de tout droit. La société était en grande partie antisémite et en Algérie, il n'était pas rare de voir des défilés de la Croix-de-Feu du colonel de La Rocque. En février 1941, l'amiral Darlan prend la tête du gouvernement. En juin 1941, il nomme le général Weygand, gouverneur général de l'Algérie. La «Légion» est le support politique du régime pétainiste, dont la devise «travail, famille, patrie» remplace le triptyque républicain «Liberté, égalité, fraternité» Les hobereaux de la colonisation clament leur attachement au maréchal Pétain. Et, aux quatre coins du pays résonne l'hymne «Maréchal nous voilà».
Pourquoi un crime aussi abominable?
Cette folie meurtrière visant les juifs ne fut pas une singularité. Comme l'écrit si bien Sophie Bessis, «Le nazisme ne fut pas une rupture mais une continuité». C'est tout le XIXe siècle qui fit le lit du nazisme avec les mythes récurrents des races supérieures défendues par les Renan, Arthur de Gobineau, voire des prix Nobel de médecine comme Richet. Il en sera de même en Angleterre avec Joseph Chamberlain et Rudyard Kipling et en Allemagne avec Hegel pour qui l'Afrique n'est pas entrée dans l'histoire...
En fait, la rafle du Vél d'Hiv n'est pas que le fruit de la soumission aux Allemands mais aussi l'aboutissement de siècles d'antisémitisme décomplexé, bien ancré dans le fond rocheux d'une partie de la société française. Cet antisémitisme de deux millénaires d'âge, qui plonge ses racines dans l'histoire du Christianisme et des juifs déicides. Cependant, il y eut parmi les fonctionnaires des gens qui ont dit non à l'ordre hitlérien. Cette affaire soulève bien en réalité le devoir d'obéissance du fonctionnaire en cas de force majeure, des fonctionnaires qui se sont émancipés de ce devoir. Ils ont contribué à sauver - à l'instar de Jean Moulin- l'honneur des corps de l'Etat.
Pour rappel, les deux séries de mesures antijuives, celles d'octobre 1940 et de juin 1941, n'avaient pas plus soulevé de protestations de la part des autorités religieuses qui restaient le plus fidèle soutien du régime. (...) Néanmoins, à partir de la mi-1942, on assiste à un revirement de l'opinion publique. Le port de l'étoile jaune avait suscité la réprobation de beaucoup de Français. Une partie des 225.000 juifs, qui ont réussi à échapper à la déportation, a bénéficié du silence, de la complicité ou de l'aide active d'un très grand nombre de Français qui sont restés, pour la plupart anonymes.
Il en est de même d'un fait ignoré qui est l'apport des Algériens - Français du second collège à l'époque - à la Résistance française à une époque où beaucoup de Français, le plus souvent par peur devant un pouvoir répressif sanguinaire, abandonnèrent leurs concitoyens de confession juive. Que dire, en effet, de ces émigrés qui, malgré leurs conditions sociales désastreuses, eurent le courage de risquer leur vie pour sauver des Français juifs abandonnés par tous du fait de la répression allemande? Le tract suivant résume mieux que cent discours l'empathie de ces «Justes». Nous lisons «Hier à l'aube, les juifs de Paris ont été arrêtés. Les vieux, les femmes et les enfants. En exil comme nous, travailleurs comme nous. Ils sont nos frères. Leurs enfants sont comme nos propres enfants - «ammarach nagh». Celui qui rencontre un de ces enfants doit lui donner un abri et la protection des enfants aussi longtemps que le malheur - ou le chagrin - durera. Ce tract fut rédigé en tamazigh -sans doute pour ne pas être compris par la police- circulait parmi les émigrés algériens kabyles lors de la rafle des juifs le 16 juillet 1942 à Paris. Ainsi, les émigrés algériens - sous prolétariat français - pendant la colonisation, avaient décidé d'aider les juifs à s'enfuir et les ont cachés. Dans le même ordre, on se souvient que la Mosquée de Paris servit de lieu de résistance. Les Algériens du FTP (Francs-tireurs partisans) avaient pour mission de secourir et de protéger les parachutistes britanniques et de leur trouver un abri. Les FTP ont par la suite, porté assistance à des familles juives, des familles qu'ils connaissaient, ou à la demande d'amis, en les hébergeant dans la mosquée, en attente que des papiers leur soient fournis pour se rendre en zone libre ou franchir la Méditerranée pour rejoindre le Maghreb. (1)
L'appréciation de la rafle du Vél d'Hiv depuis la Libération
Depuis la Libération, cet événement a été apprécié différemment. Pour l'Histoire, De Gaulle l'a totalement ignoré, De Gaulle avait considéré que la légitimité française, la continuité républicaine s'incarnaient à travers lui et son action à la tête de la Résistance. Vichy n'était pas la République, et c'est pour cette raison, scène célèbre, qu'il avait refusé, le 27 août 1944, de suivre le conseil de Georges Bidault qui lui avait demandé de proclamer la République au balcon de l'Hôtel de ville de Paris. Il n'y avait pas à rétablir ce qui n'avait jamais cessé d'exister.
Mitterrand ne pouvait pas renier ses années de jeunesse, qu' il a cachées. En 1969, dans son livre «Ma part de vérité», il déclarait: ́ ́S'il est vrai que j' eusse été d' extrême droite dans ma jeunesse, je jugerais plus honorable d' être où je suis aujourd'hui que d' avoir accompli le chemin inverse, où l' on se bouscule, semble-t-il. ́ ́ (pp.21-27) On sait maintenant que si Mitterrand a fait partie des VN, les Volontaires Nationaux, soit les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque. Mitterrand prononça deux conférences encensant les Croix-de-Feu en janvier 1935. En février 1935, il a pris part à une manifestation étudiante «contre l' invasion des Métèques». Le 5 mars 1936, il fait partie de ceux qui ont manifesté 'contre le juif Jèze'. Gaston Jèze était un professeur qui fut pris à partie par ses étudiants d' extrême droite pour avoir soutenu l'Ethiopie envahie par Mussolini. (...) Il écrira dans l' Echo de Paris, très marqué à droite, proche du PSF, le parti de La Rocque. «Et puis après, pendant la guerre, on connaît mieux, la Francisque, la proximité de la Cagoule, la résistance tardive mais réelle.» On pourrait continuer, par exemple on fait de Mitterrand le champion de l' abolition de la peine de mort, alors que lorsqu'il était ministre de l'Intérieur pendant la Guerre d'Algérie, on n' a jamais autant coupé de têtes, pour finalement aboutir à la peine de mort en 1981.
Pour Mitterrand, la République française était irresponsable. Lors du Conseil des ministres du 8 février 1993, où fut lu le décret instituant la ́ ́Journée nationale commémorative des crimes et persécutions racistes et antisémites commises par l'autorité de fait dite gouvernement de l'Etat français ́ ́, François Mitterrand rappela alors comment était née la synthèse politique et juridique gaullo-mitterrandienne sur la question de l'incarnation française durant l'occupation.
En 1995, le président Jacques Chirac avait admis officiellement l'implication française dans ces crimes commis sous le régime de Vichy. ́ ́La France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. ́ ́ Cette reconnaissance solennelle, par un président de la République, du rôle de la France, avait été une première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. ́ ́L'honneur fut sauvé par les Justes, et au-delà par tous ceux qui surent s'élever contre la barbarie (...) L'honneur de la France était incarné par le général de Gaulle qui s'était dressé le 18 juin 1940 pour continuer le combat. L'honneur de la France était défendu par la Résistance, cette armée des ombres qui ne se résigna pas à la honte et à la défaite. ́ ́
Nicolas Sarkozy, en juillet 2007, s'était contenté de dire: ́ ́Il n'y a rien à ajouter, rien à retrancher à son très beau discours. ́ ́ ́ ́François Hollande a reconnu à son tour que l'arrestation de milliers de juifs lors de la rafle du Vél d'Hiv, en juillet 1942, était un ́ ́crime commis en France, par la France ́ ́.» (2)
Il y eut, on l'aura compris, une levée de boucliers à gauche comme à droite. Selon Jean-Pierre Chevènement, François Hollande fait ́ ́comme si Pétain était la France ́ ́. Il regrette que François Hollande ́ ́a malheureusement omis de dire que les crimes commis par les policiers et les gendarmes français, lors de la rafle du Vél d'Hiv, l'ont été sur l'ordre de l'Etat français de Vichy collaborant avec l'Allemagne nazie. ́ ́ Selon lui, tenir un tel discours, ́ ́c'est occulter les accords passés avec la gestapo par René Bousquet, alors secrétaire général de la police, agissant pour le gouvernement de Vichy. C'est faire comme si Pétain était la France et comme si le véritable coup d'Etat opéré le 10 juillet 1940 par un gouvernement de capitulation, n'avait pas existé. ́ ́ (3)
François Hollande veut assumer une histoire de France sereine
A deux reprises, écrit Thomas Wieder, déjà, il a pu s'en rendre compte. La première fois, ce fut le 15 mai, jour de son investiture. Pour son
premier discours prononcé hors de l'Elysée,
M.Hollande avait choisi de rendre hommage à Jules Ferry (1832-1893). Ce choix fut critiqué. A gauche et à droite, des voix s'élevèrent pour rappeler que le père de l'école gratuite, laïque et obligatoire avait aussi été un farouche défenseur de la colonisation, convaincu que ́ ́les races supérieures (...) ont le devoir de civiliser les races inférieures ́ ́. Dans son discours, il évoqua les ́ ́égarements politiques ́ ́ de Ferry: ́ ́Sa défense de la colonisation fut une faute morale et politique ́ ́, dit-il. La polémique, de cette façon, se trouva étouffée dans l'oeuf». (4)
«Ces jours-ci, poursuit l'auteur, M.Hollande peut de nouveau constater que l'histoire demeure, comme on le dit souvent, une ́ ́passion française ́ ́. Deux semaines avant son intervention, Serge Klarsfeld, président de l'Association des fils et filles des déportés juifs de France, demandait ainsi dans Le Monde si l'héritier politique de François Mitterrand ́ ́confirmer [ait] la vision de Chirac ́ ́, à savoir la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la Shoah? Dimanche 22 juillet, M.Hollande l'a rassuré. Mais en disant que ́ ́le crime fut commis en France, par la France (...) D'ici à 2017, trois dossiers attendent en effet le chef de l'Etat. Le premier, par ordre croissant d'intensité, concerne la Grande Guerre, dont on célébrera le centenaire en 2014. (...) Autre dossier sensible: le génocide des Arméniens, dont le centenaire tombera en 2015 et dont M. Hollande s'est engagé à en pénaliser la négation. (...) A l'heure où la France essaie de se rapprocher de laTurquie, (...) Dernier dossier, enfin: la guerre d'Algérie. C'est à la fois le plus urgent et le plus explosif. Le plus urgent parce que 2012 est l'année du Cinquantenaire de l'Indépendance, et que la France, jusque-là, n'a rien commémoré officiellement».
François Hollande et sa nouvelle approche des relations algéro-françaises
Justement qu'en est-il des relations algéro-françaises sous l'angle mémoriel, il semble que François Hollande engage une rupture. Thierry de Cabarrus en décrit les signes: «De l'anniversaire de l'indépendance de l'Algérie aux commémorations de la rafle du Vél d'Hiv, François Hollande a pris à bras-le-corps son rôle de chef d'Etat en prônant l'apaisement, la réconciliation et l'humilité. (...) Qu'on n'aille pas lui chercher des poux dans la tête! François Hollande est un président normal en ce sens qu'il affronte le passé de la France avec lucidité, courage et ce qu'il convient de sentiment de repentance pour solder enfin une Histoire douloureuse. François Hollande prend la peine d'expliquer aux Tuileries qu'il glorifie le grand ministre de l'Education, mais qu'il condamne sa ́ ́faute morale et politique ́ ́. (..) Le dernier acte spectaculaire, c'est le fameux discours du dimanche 22 juillet devant la plaque commémorative de la rafle du Vél d'Hiv à Paris».
«Un autre signe poursuit l'auteur, passé inaperçu, démontre la volonté qu'a François Hollande de solder les dettes de la France avec son passé. Ainsi, de la relation franco-algérienne. Le 5 juillet dernier, alors que l'Algérie célèbre les cinquante ans de son indépendance, le chef de l'Etat adresse une lettre à son homologue, le Président Bouteflika. Une façon claire et sans détour de répondre à l'invitation de ce dernier qui souhaitait, le 8 mai dernier, ́ ́une lecture objective de l'Histoire ́ ́ (...) Le chef de l'Etat a eu trois occasions de refonder sur de nouvelles bases les liens entre la France et l'Algérie. Le 17 octobre 2011, c'est le candidat qui commémore les massacres des manifestants algériens en 1961, en allant déposer une gerbe sur le pont de Clichy. Ce fils d'un militant farouche de l'Algérie française déclare alors: ́ ́Je voulais être là, fidèle à la promesse que j'avais faite. Je suis venu témoigner de ma solidarité aux enfants, petits-enfants de ces familles endeuillées par ce drame. ́ ́ Le 19 mars 2012, pour le cinquantième anniversaire de la signature des Accords d'Evian, François Hollande publie une tribune dans les quotidiens El Watan et Le Monde: ́ ́La France et l'Algérie, écrit-il, ont un travail en commun à mener sur le passé pour en finir avec la guerre des mémoires. ́ ́ Enfin, le 11 avril 2012, le candidat salue la mémoire du président Ben Bella décédé quelques jours plus tôt, et il ajoute: ́ ́Je forme le voeu que les peuples algérien et français puissent s'engager dans une nouvelle ère de coopération. ́ ́» (5)
Il n'y a pas de raison de douter, François Hollande veut changer les choses, il semble opter pour la vérité, soyons, en tant qu'Algériens, au rendez-vous pour aller enfin, de l'avant.
1.Chems Eddine Chitour http://www.legrandsoir.info/ce-que-fut-la-colonisation-l-oeuvre-positive-de-l-algerie-envers-la-france.html
2.Bruno Roger-Petit Vichy et Vél d'Hiv: Hollande a-t-il raison de rompre agoravox 24-07-2012
3. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/vel-d-hiv-chevenement-en-desaccord-120456
4.Thomas Wieder, Hollande face aux pièges de l'histoire. Le Monde 25.07.2012
5.Thierry de Cabarrus François Hollande président des réconciliations Nouvel Obs.23-07-2012


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