Les gouvernements successifs ne se sont jamais sentis contraints d'éradiquer l'économie souterraine. L'Algérie connaît une véritable crise de régulation qui s'est accentuée notamment ces dix dernières années. Les réseaux de l'informel ne cessent de gagner en puissance. Un gigantesque engrenage mafieux, régente la sphère commerciale. Les gouvernements successifs ne se sont jamais sentis contraints d'éradiquer l'économie souterraine. Quand on tentait de promulguer des lois à l'encontre de leurs intérêts, ça bloquait et grinçait partout. L'informel représente environ 30 à 40% du PIB. La moitié de la masse monétaire en circulation dans notre économie provient du marché informel. Si les réseaux informels se contentaient de participer auparavant au financement des partis politiques, actuellement ils utilisent ces formations comme marchepied pour s'infiltrer à travers les institutions de l'Etat, notamment le pouvoir législatif. L'essence de leur politique: «L'argent est le pouvoir». Il y a un grand risque qu'en cédant devant les groupes de pression, de surcroît mafieux, le gouvernement leur livre le pays sur un plateau en argent. En témoigne son spectaculaire recul en reportant sine die l'instauration de l'obligation du paiement par chèque pour toute transaction dépassant les 50.000 DA. Le gouvernement ne s'est pas attaqué frontalement à l'informel, seule force économique qui serait capable de provoquer une forte agitation sociale. Les pouvoirs publics qui laissaient faire depuis longtemps ont mis en avant cette fois l'achat de la paix sociale pour prétexter leur immobilisme. Dans un pays dont l'économie est totalement tributaire des hydrocarbures et les importations, l'informel a encore de beaux jours devant lui. Dans ce contexte, l'Etat a dû faire des reculades ou reculs penauds lors des événements de janvier 2011, selon même le Premier ministre, Ahmed Ouyahia. De même, l'instauration du crédit documentaire (Credoc) obligatoire, la loi de finances complémentaire de 2009, a orienté vers le marché parallèle une partie des opérations financières des acteurs du commerce extérieur, industriels et importateurs. Il existe même un mouvement de plus en plus étendu d'évasions de capitaux, qui ont été soustraits au fisc, indique-t-on. Dans ce contexte précis, les experts s'interrogent sur l'attitude du gouvernement algérien face à l'adhésion de l'Algérie à l'OMC (Organisation mondiale du commerce). En outre, la règle des 49/51 sur les IDE, qui continue de réfrigérer l'enthousiasme des investisseurs étrangers, est conçue en faveur des appétits voraces des barons de l'informel, selon plusieurs experts. Les premiers pas de notre ouverture économique ont été largement en faveur du négoce, de la spéculation et des importations. Les difficultés sécuritaires ont favorisé l'accumulation spéculative, frauduleuse et même criminelle de capitaux. La violation de la loi, notamment dans le champ économique, est érigée en règle, souligne-t-on. L'entreprise publique et privée sont les premières victimes de l'informel. Le consommateur est exposé sans défense aux réseaux de la spéculation, capables d'organiser la rareté du produit et la flambée de ses prix de vente, annihilant ainsi toute amélioration des salaires et des revenus. Un rapport interne de la Banque d'Algérie accuse les opérateurs privés activant dans le marché noir d'être à l'origine du manque de liquidités que connaissent les bureaux de poste depuis plusieurs mois. Sachant que sans leurs services, le trafic et les affaires n'auraient pas lieu, le marché de change parallèle dont le plus en vue, l'emblématique marché du Square Port-Saïd contrôlera pour longtemps encore l'économie nationale. La libéralisation du commerce extérieur en 1994 et son ouverture au secteur privé ont ainsi permis la création de «plus de 45.000 boîtes de négoces», selon les économistes. Ces sociétés d'importation sont les seules entités qui se portent d'ailleurs bien dans l'environnement des affaires en Algérie, indique-t-il. L'Etat a beau multiplier les discours sur la lutte contre le commerce informel, celui-ci reste finalement le «poumon» de l'économie nationale. Ce phénomène qui a envahi la sphère «officielle» de l'économie, a créé ainsi une sorte d'Etat dans un Etat. La dominance de la tertiairisation dangereuse de l'économie algérienne est confirmée par le dernier recensement de l'ONS. L'économie nationale hors agriculture et hors hydrocarbures est une économie de bazar dans le plein sens du terme. Le commerce et la distribution représentent plus de 55% de l'ensemble des entités économiques dont 84% se concentrent sur le commerce de détail. Cela dénote qu'on n'a pas d'économie et de surcroît plus de la moitié de la population en activité était dépourvue de couverture sociale, et 50,4% de l'ensemble des travailleurs n'étaient pas déclarés à la Caisse nationale des assurances sociales (Cnas). Par ailleurs, n'a-t-on pas affirmé que la mafia politico-financière est représentée au sein même des institutions législatives et que les activités financières illicites sont monnaie courante au sein des hautes sphères de l'Etat?