Le peuple géorgien a donné en direct un bel exemple à la planète entière. Le président Edouard Chevardnadze a démissionné, a annoncé hier soir à Tbilissi la dirigeante de l'opposition Nino Bourdjanadze, désignée «présidente» par les forces politiques opposées au chef de l'Etat sortant. Bourdjanadze a fait cette annonce lors d'un meeting de l'opposition dans le centre de Tbilissi, peu après une rencontre entre l'opposition et le président démissionnaire. Un autre leader de l'opposition, Mikhaïl Saakachvili, a annoncé que Mme Bourdjanadze «remplaçait» M.Chevardnadze. Elle avait déjà été proclamée ce samedi «présidente par intérim» par l'opposition géorgienne. Le président Chevardnadze a reconnu lui-même sa défaite devant une caméra de la télévision privée Roustavi-2. Il a répondu: «Ce n'est plus mon problème» à la question de savoir qui allait lui succéder. Le président «a pris une décision courageuse qui entrera dans l'histoire comme un acte positif», a dit encore M.Saakachvili à Roustavi-2. Les Géorgiens ont ainsi réédité l'exploit des Portugais qui, en 1975, avaient réussi leur révolution la fleur au fusil. Ainsi, les Géorgiens avec leur «révolution de velours» font-il bégayer l'histoire ou il arrive un moment où il faut savoir quitter la table selon le terme consacré. Lorsque qu'il s'agit d'un pouvoir politique en place, -surtout sur une longue période-, cela signifie en fait que le peuple veut le changement. Un changement qui a été empêché par les fraudes massives qui ont marqué les élections législatives du 2 novembre dernier, que l'opposition proclame avoir remportées. Or, s'il y avait unanimité sur un fait, tant de la part de l'opposition locale, que des observateurs et de gouvernements étrangers, notamment celui des Etats-Unis, c'est bien le fait que les législatives géorgiennes ont été entachées d'un énorme bourrage des urnes. Cela a d'une part donné des arguments à l'opposition menée par Mikhail Saakachvili, et l'ancienne présidente du Parlement, Nino Bourdjanadzé, d'autre part mis en porte-à-faux un président vieillissant qui n'a pas compris que le vent a tourné. Patriarche, ancien apparatchik blanchi sous le harnais soviétique, Chevarnadzé, 75 ans, menait le pays d'une poigne de fer en digne héritier des méthodes de l'empire soviétique où il a fait l'essentiel de sa carrière politique, ayant occupé les positions de premier secrétaire du PC de Géorgie, membre du Politburo de l'URSS, enfin, sous le Perestroïka de Gorbatchev, chef de la diplomatie soviétique. Il est élu président de Géorgie (ex-membre de l'Union soviétique, indépendante en 1992) en 1995 et son mandat renouvelé, pour une dernière fois, en 2000. Chassé samedi du Parlement par l'opposition, Edouard Chevanadzé a menacé, après avoir décrété l'état d'urgence, «Nous punirons tous les criminels, nous arrêterons ceux qui ont violé la loi. Je décrète maintenant l'état d'urgence, nous devrons remettre de l'ordre dans le pays». A la présidence de l'Etat, les propos sont moins martiaux où l'on déclare qu' «un coup d'Etat a été commis en Géorgie», connoté par les observateurs comme une reconnaissance implicite que le pouvoir a changé de main. Néanmoins la confusion était extrême hier en Géorgie, où le président Chevarnadzé, bien seul, essayait de rétablir une situation qui lui échappait. Tout au long de la journée d'hier, -comme cela se faisait depuis le 2 novembre et le rejet par l'opposition des résultats du scrutin législatif-, les rues étaient occupées par les manifestants qui «fêtaient» la victoire. Ce qui fit dire à Mikhaïl Saakachvili, principal animateur du mouvement de l'opposition, devant des centaines de ses partisans «qu'il était encore trop tôt», déclarant: «Il faut encore, par la voie pacifique, faire démissionner le pouvoir» ajoutant: «Nous occuperons les bâtiments administratifs (le Parlement et la Présidence) et nous les protégerons». Hier, M.Saakachvili appelait ses partisans à prendre le ministère de l'Intérieur et la télévision d'Etat, laquelle s'est tue depuis samedi, indiquant: «Le peuple doit aujourd'hui (hier) prendre définitivement le pouvoir. Plusieurs milliers de personnes doivent aller au ministère de l'Intérieur et occuper le bâtiment» ajoutant «des milliers d'autres doivent prendre le bâtiment de la télévision d'Etat». Avocat, jusqu'à l'an dernier à la tête du Conseil municipal de la capitale, Tbilissi, il a été aussi au début de sa carrière politique proche et protégé du président Chevarnadzé, Mikhaïl Saakachvili, 35 ans, prenait peu à peu ses distances avec un pouvoir totalement gangrené par la corruption. Alors que ses dirigeants menaient un train de vie de sénateurs, la population ployait elle sous le joug de la misère. Cette situation révolta l'ancien collaborateur du président Chevarnadzé, qui, avec des amis créa un parti politique et alla à l'assaut du pouvoir. Le second leader de la contestation est la présidente sortante du Parlement, Nino Bourdjanadzé, 39 ans, proclamée samedi par l'opposition «présidente par intérim». Mme Bourdjanadzé a été elle aussi une proche collaboratrice du président Chevarnadzé avant d'épouser à son tour la contestation en passant à l'opposition. Elle a agi, jusqu'ici comme élément modérateur, ce qui fit qu'il n'y eut pas d'incidents notables avec les forces de l'ordre. En tout état de cause la situation en Géorgie inquiète vivement la communauté internationale et plus singulièrement la Russie, qui a envoyé hier à Tbilissi son chef de la diplomatie, Igor Ivanov, les Etats-Unis et l'ONU, dont le secrétaire général, Kofi Annan, lequel suit «avec inquiétude» l'évolution de la situation en Géorgie alors que le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, avait eu un entretien téléphonique avec Edouard Chevarnadzé, selon la présidence géorgienne. D'autre part, le président Chevarnadzé a annoncé hier, dans une déclaration à une chaîne de télévision indépendante, que des «négociations étaient en cours entre des représentants du pouvoir, et Nono Bourdjanadzé» l'un des leaders de l'opposition.