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De la possibilité du rêve en Algérie
ANNIVERSAIRE DE LA DISPARITION DE BAYA MAHIEDDINE 1936 - 1998
Publié dans L'Expression le 11 - 11 - 2012

«Quand je peins, je suis dans un autre monde, j'oublie»
Sa création nous invite encore à plonger dans un voyage intérieur où l'angélisme se mêle à la fratrie de ce que recèle la terre de plus indicible.
Décédée il y a 14 ans, elle aurait eu, en ce mois de novembre 2012, 81 ans. Cette artiste-peintre, Baya Mahieddine, de son vrai nom Fatma Haddad, qualifiée de tous les noms de fleurs et même d'un espace, s'en est allée discrètement le 9 novembre 1998. Une artiste qui s'est fait connaître grâce à son génie et sa sensibilité artistiques.
Des oeuvres d'un caractère libre et spontané ainsi qu'une inspiration abondante et ce dès son jeune âge. Représentante emblématique de l'art naïf africain, et de l'«Art brut» selon l'expression utilisée par le poète surréaliste André Breton pour désigner la nature de ses oeuvres. Avec ses effarantes créations, Baya a figuré parmi les plus grands: Aksouh, Guermaz, Issiakhem, Khadda Mesli, des artistes de la «génération de 1930» qui ont été les fondateurs de l'art algérien moderne. Son style, le naïf, a marqué le monde des arts plastiques aussi bien en Algérie que dans le monde.
Des oeuvres fantastiques
On est tenté de dire que les tableaux de la reine Baya sortent tout droit d'une chanson psychédélique des Jefferson Airplane, mais bien plus qu'une comparaison hâtive, les oeuvres de Baya proposent tout un univers féerique. Un aspect inédit dans une Algérie acérée, écrasée par le poids du réalisme sinistre et anguleux, quand même il est aussi urgent de se doter de la force de ses rêves. La reine au rameau d or nous fera penser à la beauté des songes, à l'image des récits à caractère fantastique sous la plume ingénieuse de Mohammed Dib «Cours sur la rive sauvage» ou «le sommeil d'Eve». Mais quel mystérieux destin que celui de cette enfant prodigue dont le geste a pu capturer des traces du paradis? Grâce à ses personnages et ses objets ramifiés jusqu'aux jardins du ciel. Une façon de dire la possibilité d'une douceur inouïe au coeur d'une époque noire et désastreuse et dans laquelle, l'artiste a refusé aimablement le confort matériel qui lui a été proposé. La princesse qui côtoyait les différentes fleurs et les oiseaux de tout acabit avait déjà un don hors normes qui la protégeait sans doute, et un intérêt prononcé pour le monde invisible. Ailleurs, où elle quêtait parcimonieusement des bouts précieux d'étranges secrets. Des paysages envoûtants et tout un dialogue d'arabesques et d'ornements, résolument inachevés. Le monde fabuleux de Baya est-il pour autant paisible? Il ne s'obstine pas du moins à ravir. Il n'est d'ailleurs pas à ce point dégagé de tout soupçon de douleur ou de conflits intimes. Ses peintures cependant, apparaissent comme un lieu de rendez-vous où se trament des fables, des ramifications et des arborescences, où s'entremêlent, oiseaux sombres, colibris, petits moineaux, grives brunes, huppes ou rolliers d'Afrique. Des bêtes issues du jardin d'Eden, rendu possible à travers ses doigts de fées. D'autres espèces enchanteresses imprègneront son oeuvre, princesse et flore exotique, femmes-fleurs, poissons compotiers et calices, des fruits abondants et des poissons indistincts tout pétillants. De nombreux instruments de musique aussi, violons, cithares et mandoles, luths, lyres et harpes réunis dans un même foisonnement, évoquant sourdement, une certaine influence de l'homme et du musicien qui a partagé sa vie. Autant d'éléments et de couleurs criardes dans ses gouaches, avec du rose indien, du bleu turquoise, des émeraudes et violets, qui se confondent dans son espace pictural. Des couleurs vives extirpées de ses rêves et tout un imaginaire captivant par les modulations et les mouvements qu'il procure. Un attrait sauvage et primitif semble hanter la genèse de son oeuvre et de son imaginaire caractérisant une même quête d'harmonie embryonnaire. Un trait épuré et asymétrique cerne sans hésitation les silhouettes et les coiffes de ses «Hautes Dames», parmi lesquelles gisent les figures de la Mère énigmatique. Baya construit une demeure close, légère, exclusivement féminine, tout à la fois recluse et souveraine. Une oeuvre unique dans la mesure où ses figures et symboles ne semblent pas tenir d'une culture propre à son environnement social. Sa création nous invite encore à plonger dans un voyage intérieur où l'angélisme se mêle à la fratrie de ce que recèle la terre de plus indicible. Baya est dans ce sens, une artiste plasticienne intrigante au langage éthéré et authentique. Un monde fantastique dont elle est seule à connaître l'endroit, et qui sera un souffle, même fragile, porteur d'une sérénité incroyable avec une discrétion totale dans l'approche. Ainsi, son oeuvre, aussi précoce soit-elle, rencontre intérêt et notoriété.
Une ineffable présence dans le monde
Baya Mahieddine naît en 1931 à Bordj El Kiffan, et devient Baya à Alger à l'âge de 11 ans quand elle sera adoptée par Marguerite Caminat à partir d'une rencontre fortuite à la ferme de Simone la soeur où travaillait la grand-mère maternelle de l'orpheline. Le début d'une grande affection et de l'affirmation d'un art qui sera catalogué de naïf. Dès son jeune âge, elle fait la couverture du magazine Vogue. Elle réalise à Vallauris des sculptures en céramique dans l'atelier Madoura où elle côtoie Picasso. Une oeuvre et une artiste qui ont été célébrées par maintes plumes internationales de la littérature et de la presse, des grands noms de la peinture et de la sculpture tels que le regretté Tahar Djaout qui dira à son propos, qu'elle est la soeur de Schéhérazade. «Le regard fleure» selon Assia Djebar, «La reine» selon le poète surréaliste André Breton.
Soutenue par Jean Sénac et son exposition «Peintres algériens», Rachid Boudjedra, Paul Balta, Jean de Maisonseul, Henri Kréa, Edmonde Charles-Roux, Georges Braque, Khadda... la consacrent et lui vouent toute une admiration. Elle est aujourd'hui présente dans des collections publiques prestigieuses, notamment du Musée national des beaux-arts d'Alger avec «Femme au palmier», du musée des Arts décoratifs, de l'Institut du Monde arabe, du Musée de l'Art brut de Lausanne ou encore du fnac (Fonds national d'art contemporain), au Mali, au Maghreb, dans le Monde arabe, en Europe, au Japon, à Cuba, aux USA.
Des témoignages de grand respect continuent d'affluer sur ses oeuvres, une grande exposition lui sera probablement consacrée au Mama l'année prochaine, mais il aurait fallu imaginer plus d'ouvrages et d'attention à son parcours, en attendant, il était primordial de rallumer les bougies pour se rappeler son être ingénu et son parcours grandiose. Un hommage à son inspiration féconde qui s'écoule lentement dans un paradis qu'on imagine tout aussi charmant et pétulant. Ineffable, Fatma Haddad Alias Baya Mahieddine laisse derrière elle un regard empli d'énigme et de tendresse.


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