Il serait mal venu de conclure que les Etats-Unis sont indifférents à la construction d'un espace économique maghrébin. Le commentaire de presse de M.Richard W.Erdman, ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique à Alger, sur l'annulation (et non le report) du sommet de l'UMA est digne de faire l'objet de thèses et d'antithèses dans les instituts spécialisés du monde entier. Voici le texte de ce communiqué tel que nous l'avons reçu à la rédaction. «La décision de maintenir ou ne pas maintenir le sommet des membres de l'Union maghrébine arabe est seulement une décision qui n'est pas de notre ressort. Ce qui est important, selon la perspective américaine, est de voir des efforts et la coopération visant à renforcer le dialogue régional que nous croyons être dans l'intérêt de tous.» En clair, cela veut dire quoi? Cela veut dire que les Etats-Unis sont pour la création d'un cadre de coopération régionale. Un point c'est tout. Quant à la forme que prendra ce cadre, c'est aux Maghrébins qu'il appartient de le créer et de le mettre en place. Trois autres mots sont à relever dans ce communiqué: perspective, dialogue, et tous. Perspective : Il existe une perspective américaine pour la région du Maghreb. Elle avait pris le nom de perspective Eizenstat dans les années 90. Elle a peut-être changé de nom, mais elle existe toujours et elle demeure stratégique pour les Etats-Unis. Dialogue régional : c'est l'affaire du Sahara occidental qui est au centre de ce dialogue. Les Etats-Unis soutiennent le plan Baker mais souhaitent que s'engage un dialogue entre les parties concernées (Algérie, Maroc, Polisario) pour trouver une issue au conflit par la voie diplomatique. Cela a été confirmé par la voix du secrétaire d'Etat Colin Powell lors de sa dernière tournée au Maghreb (2 et 3 décembre 2003). Tous : la voie du dialogue est privilégiée pour les pays du Maghreb, mais cette voie est dans «l'intérêt de tous», Etats-Unis y compris. Il serait donc mal venu de conclure que les Etats-Unis sont indifférents à la construction d'un espace économique maghrébin. Au contraire, ils y sont intéressés au premier chef. Le mot intérêt, non plus, n'est pas anodin : il a été bien choisi et il signifie que Washington a des intérêts dans cette région du monde. Ce n'est un secret pour personne. Le fait que le sommet annoncé, puis annulé de l'UMA a été précédé par un sommet des 5+5 à Tunis, lui-même précédé de peu par une tournée de M.Colin Powell dans les trois capitales du Maghreb, est en soi lourd de signification. On peut y voir d'abord une rivalité américano-européenne. Mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg. La lecture à faire de ce sommet et de cette tournée, est que la construction d'un ensemble maghrébin n'est pas l'affaire des pays du Maghreb seuls, mais qu'elle est l'affaire de tous, en premier lieu l'affaire des puissances de ce monde (Etats-Unis et Europe) qui sont en train de redessiner la carte du monde à leur convenance. Le monde des deux blocs de l'Est et de l'Ouest est bien derrière nous. Nous sommes entrés dans une autre phase. Et il y a une certaine immaturité des pays maghrébins, qui se cantonnent dans un Etat-Nation étriqué, à se voiler la face pour ne pas voir cette réalité. Par ailleurs, on relèvera que si le sommet des 5+5 a réuni les 5 pays du sud de l'Europe (Portugal, Espagne, France, Italie et Malte) avec leurs homologues de l'UMA, la tournée de Colin Powell en revanche n'avait touché que les trois pays du couscous (pour reprendre la formule de Habib Bourguiba) et qui sont la Tunisie, l'Algérie et le Maroc, qui étaient déjà visés par la perspective Eizenstat. Contrairement à nos dirigeants donc, il y une continuité stratégique dans la ligne US.