On peut estimer que le manifeste des onze s'adresse à l'ANP. Le manifeste signé par les onze, qui demande le départ du gouvernement Ouyahia et la constitution d'une commission indépendante de surveillance des élections, n'est que le début d'une démarche et d'une dynamique appelées à aller crescendo. Sinon, les résolutions prises par ces documents historiques resteront lettre morte. En plus du président de la République, qui a les prérogatives constitutionnelles de nommer le gouvernement et de faire respecter la loi pour l'organisation du scrutin, c'est surtout l'armée, dont la neutralité affichée a été saluée à sa juste mesure, seule institution restée forte et disciplinée, qui est interpellée pour garantir un vote régulier et honnête, dans le strict respect de la souveraineté populaire. C'est un fait que l'Armée nationale populaire a jusqu'à ce jour joué un rôle clef dans le choix du chef de l'Etat, depuis 1962. Aucune personnalité ne peut prétendre jouer les premiers rôles à la tête de l'Etat, s'il n'a pas la bénédiction de la grande muette. Que ce soit Ben Bella, Boumediene, Chadli, Boudiaf lui-même, Kafi, ou Zeroual, c'est toujours elle qui a le dernier mot, et c'est son choix qui est déterminant, surtout que le vote des corps constitués est une manne tombée du ciel qui permet de renflouer la part en voix du candidat désigné par le système. Si cette prérogative n'est inscrite dans aucun texte de loi, elle est tout de même une pratique courante admise. Ce n'est pas l'exception qui confirme la règle, mais la règle elle-même. C'est donc une prérogative de fait. Sans s'apitoyer sur le passé - à quoi cela servirait-il - on doit tout de même reconnaître que ce choix, qui obéit à des critères tout à fait subjectifs, n'a pas toujours été judicieux. Malgré un scrutin pluraliste, en 1999, tout le monde sait que l'armée avait jeté son dévolu sur celui qu'on a appelé le candidat du consensus. Le retrait des candidats du groupe des six n'a pas empêché le scrutin d'aller jusqu'au bout et de faire élire l'actuel locataire d'El-Mouradia. En pleine crise politique, le Trésor public étant presque exsangue, les entreprises en faillite, le baril tombé à 9 dollars, et alors que le terrorisme fauchait des vies humaines par milliers, cette élection a laissé indifférente une population qui avait bien d'autres soucis. Mais le scénario de 1999 ne peut pas se répéter indéfiniment, et l'armée a eu bien raison d'affirmer sa neutralité pour ne pas interférer dans le processus démocratique normal. Mais en même temps, elle ne peut pas se retirer comme ça, presque sur la pointe des pieds, en livrant les clefs de la maison Algérie à une administration qui viole impunément la loi et instrumentalise la justice, combat les libertés publiques, harcèle la presse. Car si on n'y met pas le holà, ces pratiques et ces violations deviendront une règle, et quiconque ne prêtera pas allégeance sera soumis au feu roulant des intimidations. En tout état de cause, on peut estimer que le manifeste des onze s'adresse à l'Armée nationale populaire. Nous apprenons ainsi que le groupe doit se rencontrer chez Benflis mardi prochain pour arrêter les modalités de mise en oeuvre de la plate-forme.