De plus en plus offensifs les chiites exigent d'être consultés sur le devenir futur du pays. Il ne fait pas de doute que les chiites qui se sont contentés, ces derniers mois, d'observer les événements commencent, de plus en plus, à manifester leurs exigences quant au devenir futur de l'Irak. Et c'est par la voix du chef suprême chiite, l'ayatollah Ali Sistani, qu'ils disent leur sentiment sur le processus de transfert de pouvoir qu'organise l'administration occupante américaine. Les Chiites contestent notamment la procédure de désignation de la future assemblée transitoire sur laquelle va s'appuyer l'administration américaine en Irak pour mettre en place les institutions du pays. Aussi, l'ayatollah Ali Sistani s'est-il, officiellement, prononcé contre l'accord de transition tel que rendu public le 15 novembre dernier par l'administrateur en chef américain, Paul Bremer, et le Conseil transitoire de gouvernement irakien. Le leader religieux irakien conteste le scénario prévoyant l'élection de la Constituante et de l'Assemblée à l'image de ce qui s'est passé en Afghanistan, exigeant des élections au suffrage universel direct. Or, les Chiites - qui estiment être marginalisés, encore une fois, dans le processus en cours en Irak - veulent marquer les débats sur le devenir de leur pays en exigeant, forts de leur poids électoral, à ce qu'il y ait des élections générales libres par lesquelles seul le peuple aura à exprimer ses choix, notamment sur le régime futur de l'Irak. Ce que Nabil Mahdi, professeur de droit à l'université de Koufa, proche de la mouvance des religieux chiites résume en ces termes «Personne n'a le droit, à l'exception du peuple, de décider de la nature du futur système politique irakien», mettant en exergue la pensée de l'ayatollah Sistani. Un autre professeur de la même université, Mohamed Karaaoui, renchérit «Il n'est pas question que l'Irak soit transformé en République islamique, car ni les Etats-Unis ni certains pays de la région n'accepteront une répétition de l'expérience iranienne en Irak», estimant toutefois que «une Constitution qui ne contredit en aucun cas la charia serait acceptable pour la Marjaya, (assemblée des principaux ayatollahs de l'Irak), qui a conscience que l'Irak est composée de différentes communautés religieuses et de différentes ethnies». C'est justement là que se situe la dissemblance avec l'Iran qui fait que même s'ils sont majoritaires dans le pays, les Chiites doivent tenir compte des autres religions et ethnies qui font la particularité de l'Irak, laquelle - sous le Baâs et l'ancien régime - avait un système politique laïc. Par ailleurs subsiste en arrière-fond, un problème qui porte en lui les germes de la division; le fédéralisme, pour lequel font campagne les Kurdes. Si les Chiites ne se sont pas prononcés officiellement sur la question, ils ne cachent pas pour autant que le fédéralisme, tel que le préconisent les Kurdes, porterait atteinte à l'unité de l'Irak. Un Irak dont le destin échappe encore à ses enfants et ce sont toujours les Américains qui chapeautent et organisent les différents scénarios devant concrétiser leur vision d'un «Irak démocratique». Pour ce faire, un appui de l'ONU n'est pas de trop. Ce qui explique les propos conciliants tenus ces derniers temps par les principaux responsables américains à l'endroit des Nations unies, hier encore snobées par Washington. Ainsi, l'administrateur en chef américain, Paul Bremer, qui doit rencontrer lundi le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, affirme «Nous pensons qu'il y a un rôle pour les Nations unies dans le processus qui a été établi. L'ONU a beaucoup d'expérience dans l'organisation d'élections, des commissions électorales, des lois électorales et dans le processus de rédaction d'une Constitution» faisant ainsi un appel de pied à l'organisation internationale. Celle-ci par l'intermédiaire de Fred Eckhard, porte-parole du secrétaire général de l'ONU, indique «Le fait que ces trois parties, si je peux les appeler ainsi, (il s'agit de la rencontre de lundi réunissant l'ONU, les Etats-Unis et le Conseil transitoire irakien), aillent s'asseoir à la même table est, je crois, un signe encourageant (qui montre) que nous commençons à oeuvrer de concert». L'ONU outre le fait qu'elle a été marginalisée par les Etats-Unis lors de la guerre contre l'Irak, a d'autre part été la cible de plusieurs attentats à Bagdad, dont l'un a été fatal au secrétaire général adjoint de l'ONU, Sergio Vieira de Mello, représentant spécial de M Annan à Bagdad. Par ailleurs, concernant les réserves des Chiites Paul Bremer explique: «Nous avons dit que nous étions prêts à apporter des clarifications au processus (de transfert des pouvoirs) qui a été établi par l'accord du 15 novembre (2003)», ajoutant : «Nous avons toujours dit que nous sommes prêts à considérer les affinements et nous sommes prêts à en discuter au moment approprié». Il est évident cependant, que l'administration américaine fait face à des difficultés qui ne se démentent pas devant une guérilla pugnace et accrocheuse. De fait, sur le terrain, l'armée d'occupation américaine est toujours l'objet d'un harcèlement constant. Hier, cinq soldats américains ont été tués par l'explosion d'une bombe sur le passage de leur véhicule blindé au nord de Bagdad.