En se déplaçant du religieux au politique, l'ex-gourou de la jeunesse islamiste s'offre une nouvelle «grille de lecture». Que cherchait Ali Benhadj en se présentant, mercredi à 10h, au ministère de l'Intérieur pour déposer sa «demande d'intention» de se présenter à l'élection présidentielle du 8 avril prochain? Provoquer le débat? Défier les autorités? Bien qu'il fût éconduit par la police aussitôt qu'il fût entré, Benhadj fut tout de même retenu toute la journée par les responsables de la sûreté urbaine d'Alger jusqu'à 21h. Ce qui indique que l'ancien tribun de la jeunesse islamiste urbaine fascine et inquiète à la fois les autorités chargées de gérer le dossier sécuritaire. Selon les proches de Benhadj, cette «incursion politique» est une tentative, de la part de celui-ci, de «contribuer à trouver une issue à la situation de blocage actuel, tout comme elle constitue un droit de la part d'une personnalité du pays à se porter candidat à une élection». Pour présenter sa candidature avec plus de sérieux et de garanties, Ali Benhadj s'est même muni d'un programme qui, dit-il, «peut constituer une alternative à la politique d'exclusion actuelle et une ébauche de sortie de crise». En fait, il serait puéril de croire que Benhadj portait quelque crédit à sa démarche ou qu'il escomptait aller loin dans ce «coup d'éclat médiatique», qui, visiblement, a mis les autorités mal à l'aise. Frappé par une sanction - les fameux «dix interdits» - qui limite ses mouvements à de «simples actions de survie», soumis à des restrictions politiques draconiennes, objet d'une filature H24, Benhadj sait que sa marge de manoeuvre est dérisoire. Toutefois, en contre-attaquant de la sorte, il sait bien qu'il pourrait compter sur la sympathie de plusieurs partis politiques et d'une large frange de l'électorat islamiste - qui tourne, bon an, mal an, autour de 4 millions - s'il venait, encore à être inquiété par les autorités. Selon un de ses proches, «Benhadj a refusé l'offre de certains hommes politiques, candidats à la présidentielle et qui ont souhaité son appui». Car «il ne souhaite devenir un comité de soutien pour personne». La visibilité de cette brusque et tonitruante sortie d'Ali Benhadj est à ce point manifeste pour cacher les non-dits. Aussi, ne perdons pas de vue que les autorités sont actuellement préoccupées par l'échéance électorale du 8 avril, dont les enjeux demeurent à ce point importants pour leur interdire d'ouvrir une nouvelle ligne de fracture avec les islamistes. La fragilité du système est aujourd'hui plus encore prononcée et Benhadj sait qu'il peut encore trouver la faille pour s'engouffrer. Si, aujourd'hui, les candidats politiques se retirent les uns après les autres, faute de pouvoir récolter les 75.000 signatures nécessaires à la validation de leur candidature, Benhadj voulait aussi démontrer qu'il jouit toujours de l'estime de la jeunesse islamiste, après douze années de détention et qu'il pourra «faire signer en sa faveur, 75.000 personnes en une seule journée et dans la seule région d'Alger». Le clin d'oeil est visiblement lancé à l'endroit d'un Benyellès, général à la retraite et d'un Hamrouche, ancien Premier ministre à l'époque du FIS, et qui se sont retirés, faute de soutien populaire manifeste. Le décodage de la démarche induit aussi que l'ancien tribun de la jeunesse islamiste urbaine a déplacé son action du discours hiératique et ostensiblement théologique à la démarche politique pure. Cette brusque «métamorphose» a, en fait, fait peur aux autorités car elle les invite à porter le débat sur le pluralisme, la démocratie et les droits de l'homme. Le grincement de dents avec lequel les autorités avaient accueilli l'information des officiers des services de sécurité qui faisaient patienter Benhadj dans un bureau, avant de le conduire dehors, renseigne sur l'agacement qu'il attise à chaque coin de rue. Pour le moment, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, ne cherche pas à s'aliéner une partie de l'électorat islamiste en s'attaquant à une figure emblématique de la nébuleuse. Cependant, on se demande jusqu'où pourra aller le numéro deux du parti dissous, en tenant en compte que «le dossier FIS fait partie du dossier sécuritaire et non plus du politique, et qu'en la matière, la marge de manoeuvre du président est limitée». Les frontières entre le sécuritaire et le politique restent, à ce jour, assez ambiguës pour permettre de s'adonner à des pronostics sérieux dans un contexte politique marqué par des luttes au plus haut niveau de la décision, et qui ont complètement fragilisé les institutions.