Les Soudanais, gouvernement et rébellion, se tâtent pour voir s'il est temps de franchir le Rubicon de la paix. Après 40 ans de conflit, le Soudan est au seuil de la paix mais la rébellion du Darfour, dans l'ouest du pays, met en lumière les risques de la paix comme ceux de la guerre pour Khartoum. Le plus vaste pays d'Afrique, grand comme un quart des Etats-Unis, n'a connu que dix ans de paix (1972-1982) depuis l'indépendance en 1956. Les provinces du sud, de populations animistes avec une minorité chrétienne, luttent contre les autorités de Khartoum, musulmanes et arabes, dans le plus long conflit du continent africain. La guerre a fait deux millions de morts et déplacé quatre millions de personnes. Elle a été exacerbée par la découverte dans le sud de pétrole, exporté depuis 1999. Sous la pression des Etats-Unis, qui maintiennent un embargo économique contre un pays longtemps accusé de soutenir le terrorisme, le gouvernement du général Omar Al-Béchir et l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA, rébellion sudiste) de John Garang sont sur le point de finaliser un accord de paix après deux ans de négociations. Mais depuis février 2003, une rébellion dans le massif occidental du Darfour est venue compliquer les négociations. Elle éveille à Khartoum la crainte que les concessions faites au sud encouragent d'autres ethnies, comme les Beija dans le nord-est, à prendre les armes pour réclamer leur part du gâteau. La rébellion illustre non seulement la complexité du Soudan, qui compte 572 ethnies, mais celle du jeu politique à Khartoum. Le conflit du Darfour met aux prises des tribus toutes musulmanes. Fours, Massalites et Zaghawas, cultivateurs et éleveurs, se plaignent d'être négligés par Khartoum et victimes des razzias des cavaliers arabes des tribus voisines. Des négociations menées grâce à la médiation du Tchad entre le Mouvement de libération du Soudan (MLS), principal mouvement rebelle du Darfour, et Khartoum ont échoué en décembre. Les diplomates africains et le gouvernement accusent une fraction rebelle islamiste, minoritaire mais plus structurée politiquement, le Mouvement pour la Justice et l'Egalité (MJE), d'avoir saboté les pourparlers. Les négociateurs du Darfour ont exigé une autonomie civile et militaire et 13% des richesses pétrolières, demandes inacceptables pour Khartoum. Pour le gouvernement, le MJE est dirigé par des partisans de Hassan Tourabi, idéologue islamiste et longtemps éminence grise du président Al-Béchir qui finit par le placer en résidence surveillée en 2001 pour ne le libérer qu'en octobre dernier. Tourabi se défend d'interférer au Darfour. Souriant, il a assuré vendredi à quelques journalistes croire «totalement à la paix». Sibyllin, il a ajouté qu'il fallait «la paix des coeurs, pas une paix entre le dictateur du nord et le dictateur du sud», le général Al-Béchir et John Garang. Mis sur la touche, Hassan Tourabi, qui offrit l'asile à Oussama Ben Laden au début des années 1990, garde un important poids politique et financier, avec des millions de dollars transférés en Malaisie, selon les services de renseignement occidentaux. Dans cette dernière phase des négociations nord-sud, les Etats-Unis, des pays voisins conduits par le Kenya, et l'Union européenne, font miroiter à Khartoum les avantages de la paix. Le ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin s'est rendu à Khartoum vendredi pour renforcer le message et encourager les autorités à régler le conflit du Darfour par la négociation. La paix représente la fin de l'isolement politique et économique du pays, le retour des investisseurs et des compagnies pétrolières occidentales comme l'américaine Chevron et la française Total. Une levée de l'embargo américain permettra un accord avec le Fonds monétaire international et la renégociation de la dette extérieure de 24 milliards de dollars au Club de Paris. Elle permettra aussi au Soudan, a souligné un diplomate français, «de retrouver sa place et son rang» en Afrique et dans le monde arabe.