Comme d'habitude en pareil cas, avec M. Zerhouni, on manie à la fois la carotte et le bâton. Les jeunes de Ouargla se sont exprimés, avec violence, comme il sied à cet âge, pour se faire entendre. A Touggourt, d'après notre correspondant, les choses ne se sont pas mieux déroulées pour la visite du président, désormais candidat déclaré à sa propre succession. Il y a même une gradation dans les manifestations, puisque les jeunes émeutiers sont allés jusqu'à jeter des pierres sur le cortège présidentiel et à mettre le feu à un complexe omnisports. Le fait nouveau, est que si tout le monde attendait la grogne du côté des jeunes de Kabylie ou de l'est du pays, où la politique régionaliste du président est mal vue, finalement ce sont les jeunes du Sud qui parlent le langage de la révolte. En d'autres termes, la contestation est venue de là où on ne l'attendait pas, et c'est ce qui rend encore plus trouble la myopie politique des conseillers du président de la République. Pour autant, tous les enseignements des émeutes de Ouargla ont-ils été tirés par l'entourage présidentiel? L'un des premiers à s'exprimer, et qui n'est que le chef d'orchestre de ces tournées présidentielles dans et à travers les wilayas du pays, - M. Zerhouni pour ne pas le nommer - a commencé, comme à son habitude à proférer des menaces, des sanctions et peut-être aussi la prison pour les jeunes émeutiers. Puis, il s'est ravisé et a déclaré, au cours d'un point de presse, que «l'engagement est donné à la population notamment juvénile de Ouargla qu'une évaluation sera faite au niveau gouvernemental du dispositif d'emploi et de recrutement, et que des améliorations y seront éventuellement apportées». Comme d'habitude en pareil cas, avec M.Zerhouni, on manie à la fois la carotte et le bâton. C'est-à-dire qu'en haut lieu, on ne sait pas gérer ce genre de situation. Faut-il attendre la veille d'une élection pour s'apercevoir que les jeunes de Ouargla et de Touggourt sont marginalisés en matière d'emploi. Mais que devient le fameux Fonds de développement du Sud, prévu par la loi de finances, repris dans le plan de relance économique et qui devait être alimenté et servir justement à la création d'emplois et à la mise en place d'un tissu de PME-PMI dans le sud du pays. Les jeunes piaffent d'impatience et attendent de vraies solutions à leurs problèmes. Et pourtant ils ne demandent pas la lune ! Les a-t-on entendus réclamer des loisirs, des stades, des salles de cinéma, des bibliothèques ! Et pourtant ce sont des revendications tout ce qu'il y a de légitime! La culture et le sport sont un droit consacré dans les lois du pays. Non, tout ce qu'ils demandent, c'est du travail. Pour se prendre en charge et subvenir aux besoins de leurs familles, car, à partir de vingt ans, un Algérien est un homme, et c'est sur ses épaules que repose tout le fardeau des bouches à nourrir de ses frères et soeurs, ou de ses vieux parents. La chose prête d'autant moins à sourire qu'à l'occasion de son show médiatique à El-Aurassi, relayé par la télévision, le président de la République avait promis de régler la crise du logement et de donner du travail à tous les chômeurs. Les promesses électorales n'engagent-elles que ceux qui les reçoivent? En tout cas, les jeunes émeutiers de Ouargla, qui n'ont pas leurs oreilles dans leurs poches, ont choisi leur manière à eux pour crier leur ras-le-bol des promesses démagogiques, leur ras-le bol aussi de tenir le mur en attendant les jours meilleurs. Maintenant que le président de la République, comme un père Noël, a commencé à distribuer des promesses pour booster une campagne électorale qu'il avait entamée sur les chapeaux de roue avant tous ses rivaux, il doit tenir compte du malaise généré par les inégalités sociales, mais aussi par les disparités régionales. Autant de tares qu'il n'a pas réussi à corriger en cinq ans de règne, et qu'il va traîner comme des casseroles. Ces échecs dans les domaines de l'emploi et du développement équilibré des différentes régions du pays pèseront dans la balance le jour du scrutin, ou bien faut-il, comme Aïssa Kheladi, considérer qu'«on ne peut pas grand-chose durant le premier mandat sinon préparer le second. La possibilité offerte au président d'être réélu le contraint à différer ses projets et à se concentrer sur l'essentiel que représente pour lui cette réélection. Ce fut le cas pour Chadli aussi» (In Bouteflika, l'homme et ses rivaux, de Aïssa Khelladi, édition Marsa). L'exemple de Chadli n'est pas à proprement dire approprié, mais l'auteur cite aussi Mitterrand, or tout le monde sait que le président socialiste français avait lancé son programme de réformes à un rythme accéléré sous le gouvernement Maurois, avant de se raviser avec Fabius et de revenir en arrière, notamment en matière de nationalisation. Généralement c'est durant la période de grâce des cents jours que les nouveaux présidents font l'essentiel de leurs réformes, avant que n'apparaissent les premières résistances. Or pendant plus de huit mois, après son arrivée au palais d'El Mouradia, le président Abdelaziz Bouteflika avait été dans l'incapacité de former un nouveau gouvernement, contrairement à sa promesse de nommer de véritables hommes d'Etat aux postes de ministres, avant de se raviser et de critiquer vertement, parfois en des termes peu amènes, des responsables qu'il avait lui-même nommés. Après ces émeutes de Ouargla et de Touggourt, l'entourage immédiat du président de la République est censé s'interroger sur l'opportunité de continuer ou pas le programme des tournées du président. Et si l'exemple de Ouargla faisait tache d'huile? Et si tous les jeunes des autres wilayas prévues au programme se mettaient soudain à dire leur mal vie et demandaient aussi du travail. M.Zerhouni, même épaulé par ses collègues de l'Energie et de l'Agriculture sera-t-il en mesure de faire les mêmes promesses. La campagne ne risque-t-elle pas d'être perturbée par les manifestations de tous ces jeunes qui refusent qu'on les prenne pour des «canards sauvages»? Si l'agitation continue, comme une déferlante à gagner les autres wilayas, ne va-t-on pas vers un embrasement général qui amènerait le président candidat à se désister, au tout au moins à alléger ses tournées et ses shows médiatiques. Qu'on imagine ce que peuvent faire les jeunes de Bab El Oued et d'El Harrach lorsqu'ils se mettent en colère. Reste une dernière question que ne manquent pas de se poser les conseillers du président: ces émeutes sont-elles spontanées ou bien sont-elles téléguidées à distance, à seule fin de freiner les appétits électoraux du président sortant? Une chose est sûre: lorsque la crise au sommet de l'Etat n'arrive pas à trouver un épilogue, certains protagonistes font appel à la rue pour arbitrer. Comme en 1988. Dans ce cas, les émeutes remplacent les urnes. Si c'est ce scénario qui a été choisi, il n'est ni le plus démocratique ni le plus élégant. Mais quand la crise est à ce point corsée, qui se soucie de l'élégance?