Le Conseil constitutionnel a rendu son verdict. Il est sans appel. Les recalés ont toutes les raisons de crier que c'était un jeu de dupes. Traduire leur colère équivaut à en déduire que la sélection n'a pas obéi aux règles d'usage établies, mais à un choix politique délibéré dicté que certains ne sont pas allés chercher très loin. La présidence de la République en est la première indexée. Les cartes sont biseautées. Et les dés sont pipés. Cela suffit dès lors pour conclure ardemment que la sentence est équivoque. De telles réactions étaient attendues parce que suscitées, d'abord par un climat délétère entretenu par la rumeur ayant infecté comme un virus les rédactions des journaux, ensuite par les analyses auxquelles se sont livrés des perspectivistes hardis sur l'issue même de la présidentielle de 2004. Hier matin, l'Algérie s'est réveillée en comptant les pertes de cette première bataille avec, d'un côté les heureux lauréats, et de l'autre les «losers». Mais le sentiment demeure que le fair-play a peut-être manqué quelque part et que l'on a, pour des objectifs politiques inavoués, préféré certains candidats à d'au-tres. Ce qui a entaché cet événement est le fait même que la liste des «partants» ait été connue dans l'après-midi, soit au moins six heures avant que Mohamed Bédjaoui ne donne en direct à la télé les noms des candidats retenus. Pas un seul nom véhiculé par la rumeur n'y manquait. Le secret des délibérations a été violé. Sans compter que la veille, l'on avait assisté déjà à un exercice digne des virtuoses de la manip que Taleb et Sadi ne seraient pas de la course à la présidentielle. Si le leader du RCD avait crié au loup, l'ancien ministre des Affaires étrangères de Chadli ne se faisait plus d'illusions sur son sort parce que, quelque part, on a décrété que c'est bien lui qui sera le dindon de la...farce. L'élimination de Taleb ouvre un immense boulevard devant l'islamiste, pur et dur, Abdallah Djaballah. Il est déjà assuré que la récolte sera prometteuse et son ascension politique en sera confortée. L'électorat islamiste, celui du FIS dissous, les mécontents du MSP de Bouguerra Soltani et les laissés-pour-compte de Wafa, constituera un gisement électoral qui risquera de réveiller les vieux démons de l'intégrisme. La République ne s'en sortira pas indemne. Il est fort à craindre que le scénario du gagnant et du perdant de cette présidentielle 2004 soit déjà exécuté avant même le 8 Avril. Les voix qu'engrangera Djaballah seront au détriment du candidat le mieux placé, Ali Benflis, face à Bouteflika. Grâce à ce jeu de dupes, l'outsider ne sera plus l'actuel secrétaire général du FLN, mais un islamiste. Toute cette commedia dell'arte se jouera dès le premier tour avec un Bouteflika raflant la mise avec plus de 50 % des suffrages, suivi de Djaballah...l'islamiste. Les Algériens, dès lors, la peur au ventre, loueront Allah de leur avoir épargné de subir une nouvelle fois les affres d'une régénérescence des années de braise. Et qu'ils ne vivront pas le cauchemar d'un deuxième tour mettant aux prises Bouteflika à... Djaballah! Un remake des présidentielles françaises de 2002, Chirac face à Le Pen. «L'homme providentiel» n'aura alors plus qu'à continuer son oeuvre de reconstruction de l'Etat comme il nous l'avait jadis...promis. Cela s'appelle la leçon de choses.