Depuis plusieurs années, les élections restent soumises à des balises minutieusement tracées. La disqualification de Ahmed Taleb El Ibrahimi de la course à la présidence de la Répu-blique, l'expectative dans laquelle semblent placés les dirigeants du FIS et de l'AIS, les restrictions imposées par le ministère de l'Intérieur, les impératifs sécuritaires et les «deals» de dernière minute contractés par les différents adversaires politiques sont les points les plus caractéristiques de la présidentielle du 8 avril 2004, laquelle s'inscrit d'ores et déjà sous le signe du «tracé politique». Sous une fausse image d'ouverture, la prochaine élection n'en cache pas moins une somme importante d'interdits et de limites à ne pas outrepasser. Les dix années de lutte antiterroriste ont mené les responsables de la sécurité intérieure à adopter une série de mesures, non plus répressives cette fois-ci, mais «préventives». Et c'est bien dans ce «tracé politique» que se sont retrouvés les «exclus des urnes». Pour évidente que soit l'éviction d'un Taleb El Ibrahimi, à la lumière de ses accointances avec les leaders du FIS et l'appui dont il aurait pu bénéficier de leur part, celle d'un Ghozali, obéit, paradoxalement à cette logique sécuritaire du tout-préventif. L'ancien Chef du gouvernement sous les commandes duquel le FIS avait gagné les élections «propres et honnêtes» en décembre 1991 - 1er tour des législatives - et sous le gouvernement duquel avait été assassiné le président du Haut Conseil d'Etat, Mohamed Boudiaf, en juin 1992, a définitivement lié son sort à une période qui nourrit, encore à ce jour, polémiques et controverses. Pour Taleb El Ibrahimi, son cas s'est posé pour les autorités avec cet énoncé très simple: il constitue une autre forme du parti islamiste dissous, et ceux qui ont été interdits d'activité peuvent s'engouffrer par ce biais. En fait, l'expérience de 1999 avait été déjà édifiante à son sujet: en se présentant à l'élection présidentielle, Taleb El Ibrahimi avait eu l'appui des leaders du parti dissous et certains imams avaient, on s'en souvient, prêché dans les mosquées au profit du candidat Taleb. Conséquence : celui-ci, malgré son retrait de dernière minute, avait obtenu un très bon score, une bonne deuxième place, après le président rentrant, Abdelaziz Bouteflika, et plus d'un million de voix en sa faveur. Très bon score, oui, mais surtout très inquiétant pour les responsables du néosécuritaire. Désormais, Taleb s'était alors placé de lui-même dans les limites du «tracé politique». De fait, son parti, Wafa, n'a pas été agréé et ses locaux furent mis sous scellés. Les dirigeants de l'ex-FIS, son aile armée, l'AIS, les repentis du GIA, les activistes islamistes radicaux, peuvent bien participer à l'élection en tant que soutiens à celui qui présente la continuité du système, mais seront encore interdits pour longtemps en tant qu'initiateurs d'une activité qui s'inscrit hors du cadre tracé et qui correspond aux objectifs de la sécurité intérieure. En termes clairs, un Ali Benhadj peut appuyer le président de la République, il le souhaite, mais il lui sera interdit de le faire pour Taleb El Ibrahimi. L'évolution de la politique sécuritaire du répressif au préventif a influé sur la politique tout court. En somme, une démocratie en trompe-l'oeil qui véhicule des bribes de réconciliation nationale, des lambeaux de concorde civile et des esquisses de liberté. De quoi lorgner l'élection de loin et faire la moue...