Après plusieurs reports de l'appel introduit par le FLN, la bataille juridique a pris fin hier. La surprise a été totale. Au bout de douze mois d'une lutte implacable entre les deux tendances du vieux parti, le verdict est tombé hier, à 15h 30 tel un couperet. Le Conseil d'Etat a confirmé l'arrêt du 30 décembre rendu par la chambre administrative de la Cour d'Alger interdisant les activités du FLN et gelant ses comptes. La décision est définitive et exécutoire. Bref et concis, l'arrêt du Conseil d'Etat s'est résumé à deux points : dans la forme, il a déclaré irrecevable l'appel introduit par la direction légaliste issue du 8e congrès, suite à la décision de la chambre administrative le 30 décembre 2003. Il a rejeté la demande des redresseurs qui contestaient la composition du conseil. Dans le fond il confirme l'arrêt rendu par la chambre administrative. Ainsi sont terminés les fils des évènements d'un scénario inédit dans l'histoire de la justice algérienne depuis l'indépendance et des partis depuis l'ouverture démocratique en 1990. Suite à ce verdict, qui a fait dans les rangs de la direction légaliste l'effet d'un coup de théâtre, la justice algérienne a placé le plus vieux parti de l'Algérie dans une situation inédite: majoritaire à l'Assemblée nationale populaire ainsi que dans les assemblées locales et ayant un candidat à la magistrature suprême, il se retrouve frappé d'interdit par la justice. Les résolutions issues du 8e congrès étant de ce fait gelées, c'est le retour donc à celles du 7e congrès. Le FLN version Benflis a perdu la bataille sur le terrain juridique mais semble inscrire les débats de «la guerre» qui l'oppose aux redresseurs et au cercle présidentiel sur le terrain de la bataille politique. Le seul véritable écueil a été dépassé par le candidat du parti à la présidentielle, Ali Benflis, dès lors que sa candidature a été rendue officielle par le Conseil constitutionnel. La réaction de M.Benflis ne s'est pas faite attendre. Quelques instants après le verdict du Conseil d'Etat qu'il a qualifié de «scandale judiciaire». «Le candidat-président vient de commettre aujourd'hui (hier Ndlr) un nouveau forfait à l'encontre du principe de l'indépendance de la justice en amenant, par la menace et les pressions, les magistrats du Conseil d'Etat à se déjuger en rendant un arrêt inique injustifiable au regard des règles du droit et de l'équité», a rapporté un communiqué signé, hier, par le secrétaire général du parti, Ali Benflis. «Cet arrêt, dont la justice algérienne ne peut s'honorer, ne fait que renforcer notre détermination à continuer le combat pour le triomphe des principes de séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice (...)», a écrit M.Benflis dans le même communiqué avant d'interpeller «le peuple algérien, les institutions républicaines, les partis politiques et les forces vives de la société à se déterminer vis-à-vis de ce qui s'apparente de plus en plus à une grave menace sur la démocratie et le pluralisme politique dans notre pays». De son côté, Me Bergueul, un des avocats de la direction légaliste a déclaré que «cette décision est historique dès lors qu'elle concerne le premier parti du pays. C'est la première fois que la justice se penche sur les activités internes des partis politiques», a-t-il déclaré. «Sur le plan du droit sur la loi organique concernant la gestion des partis politiques c'est clair, d'autant plus que le Conseil d'Etat s'est déjà prononcé sur ce sujet et son arrêt sur la décision de la chambre administrative interdisant la tenue du congrès extraordinaire en octobre dernier, était clair et explicite: les juridictions administratives sont incompétentes pour trancher les conflits internes des partis politiques», a ajouté l'avocat regrettant cette décision «puisque, dit-il, c'est la confiance de la justice algérienne qui a été mise en jeu et ce sont les règles du processus démocratique qui se trouvent menacées». La crise du FLN a pris racine en mars 2003 à la suite du 8e congrès du parti qui a vu triompher les thèses de M.Benflis, affirmant l'autonomie du parti et son éloignement de la ligne politique du président Bouteflika. La crise s'est intensifiée durant l'été 2003 quand des militants mécontents ont décidé de créer le mouvement de redressement et de déposer plainte contre le secrétaire général du parti. En septembre de la même année, le ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Belkhadem a été porté à la tête du mouvement de redressement. Entre-temps une plainte en référé a été déposée par le même mouvement demandant l'interdiction d'un congrès extraordinaire du parti. Ce congrès, interdit par le tribunal d'Alger le 1er octobre, s'est tenu deux jours après au siège du FLN à Alger et avait officialisé la candidature de M.Benflis à l'élection présidentielle. Le 2 octobre, le FLN avait retiré ses ministres proches de M.Benflis encore présents dans le gouvernement en raison «des comportements irresponsables et hérétiques du candidat-président», M.Bouteflika. Le 18 octobre, le Conseil d'Etat a légitimé ce congrès extraordinaire, annulant cette interdiction, suite à l'appel introduit par la direction légaliste. La bataille est allée crescendo, jusqu'au 30 décembre 2003 quand la chambre administrative a gelé «toutes les activités» du FLN, frappant, à quatre mois de la présidentielle, son secrétaire général Ali Benflis. Après plusieurs reports de l'appel introduit par le FLN, la bataille juridique a pris fin hier. Le Conseil d'Etat a invalidé le 8e congrès. Happy end pour les redresseurs et la bataille politique commence pour les légalistes.